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tendre avant d’en faire un autre soi-même. Olivier de son côté ne se livra qu’à demi, soit que l’enveloppe de l’homme lui parût bizarre, soit qu’il sentit par-dessous la résistance d’une volonté tout aussi bien trempée que la sienne et formée d’un métal plus pur.

— J’avais deviné votre ami, me dit Augustin, au physique comme au moral. Il est charmant. Il fera, je ne dis pas des dupes, il en est incapable, mais des victimes, et cela dans le sens le plus élevé du mot. Il sera dangereux pour les êtres plus faibles que lui qui sont nés sous la même étoile.

Quand je questionnai Olivier sur Augustin, il se borna à me répondre : — Il y aura toujours chez lui du précepteur et du parvenu. Il sera pédant et en sueur, comme tous les gens qui n’ont pour eux que le vouloir et qui n’arrivent que par le travail. J’aime mieux des dons d’esprit ou de la naissance, ou, faute de cela, j’aime mieux rien.

Plus tard leur opinion changea. Augustin finit par aimer Olivier, mais sans jamais l’estimer beaucoup. Olivier conçut pour Augustin une estime véritable, mais ne l’aima point.

Notre vie fut assez vite organisée. Nous occupions deux appartemens voisins, mais séparés. Notre amitié très étroite et l’indépendance de chacun devaient se trouver également bien de cet arrangement. Nos habitudes étaient celles d’étudians libres à qui leurs goûts ou leur position permettent de choisir, de s’instruire un peu au hasard et de puiser à plusieurs sources avant de déterminer celle où leur esprit devra s’arrêter.

Très peu de jours après, Olivier reçut de sa cousine une lettre qui nous invitait l’un et l’autre à nous rendre à Nièvres.

C’était, je vous l’ai dit, je crois, d’après une lettre d’Augustin, à quelques lieues de Paris, une habitation ancienne, entièrement enfouie dans de grands bois de châtaigniers et de chênes. J’y passai une semaine de beaux jours froids et sévères, au milieu des futaies presque dépouillées, devant des horizons qui ne me firent point oublier ceux des Trembles, mais qui m’empêchèrent de les regretter, tant ils étaient beaux, et qui semblaient destinés, comme un cadre grandiose, à contenir une existence plus robuste et des luttes beaucoup plus sérieuses. Le château, dont les tourelles ne dépassaient que de très peu sa ceinture de vieux chênes, et qu’on n’apercevait que par des coupures faites à travers le bois, avec sa façade grise et vieillie, ses hautes cheminées couronnées de fumée, ses orangeries fermées, ses allées jonchées de feuilles mortes, — le château lui-même résumait en quelques traits saisissans ce caractère attristé de la saison et du lieu. C’était toute une existence nouvelle pour Madeleine, et pour moi c’était aussi quelque chose de bien nouveau que de la trouver transportée si brusquement dans des conditions