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quelquefois jusqu’aux plus brillantes. Il ne sentait pas tout, mais il n’y avait rien qu’il ne comprît. Il approchait ainsi de l’imagination par la tension d’un esprit sans cesse en contact avec ce que le monde des idées contient de meilleur et de plus beau, et touchait au pathétique par la connaissance parfaite des duretés de la vie et par l’ambition dévorante d’en gagner les joies légitimes, fût-ce au prix de beaucoup de combats.

Après avoir à ses débuts abordé le théâtre, pour lequel il ne se jugeait ni assez recommandé ni assez mûr, il s’était jeté dans le journalisme. Quand je dis jeté, le mot n’est pas exact pour un homme qui ne faisait rien à l’étourdie, et qui se présentait sur le champ de bataille avec cette hardiesse mêlée de prudence qui ne risque beaucoup que pour réussir. Plus récemment, il venait d’entrer comme secrétaire dans le cabinet d’un homme politique éminent.

— J’y suis, me disait-il, au centre d’un mouvement qui ne m’édifie point, mais qui m’intéresse et qui m’éclaire. La politique, à l’heure qu’il est, touche à tant d’idées, élabore tant de problèmes, qu’il n’y a pas d’étude plus instructive, ni de meilleur carrefour pour une ambition qui cherche un débouché.

Sa situation matérielle m’était inconnue. Je la supposais difficile ; mais c’était un des rares sujets sur lesquels il me paraissait interdit de l’interroger. Quelquefois seulement cet inébranlable courage trahissait non l’hésitation, mais la souffrance. Le stoïque Augustin n’en disait rien. Son attitude était la même, sa ferme raison toujours aussi claire. Il continuait d’agir, de penser, de résoudre, comme s’il n’avait jamais reçu la moindre atteinte ; mais il y avait en lui je ne sais quoi, comme ces taches rouges qu’on voit paraître sur les habits d’un soldat blessé. Longtemps je m’étais demandé quelle partie vulnérable, dans cette organisation de fer, un mal quelconque avait pu frapper ; puis je m’étais aperçu qu’Augustin, tout comme les autres, avait un cœur, et j’avais enfin compris que c’était ce pauvre et vaillant cœur qui saignait.

Dès qu’il se fut assis, et que je le vis croiser ses jambes l’une sur l’autre dans l’attitude d’un homme qui n’a rien à dire et qui entre en oubliant l’objet de sa visite, je m’aperçus bien qu’il n’était pas, lui non plus, dans des dispositions riantes.

— Et vous aussi, mon cher Augustin, lui dis-je, vous n’êtes pas heureux ?

— Vous le devinez, me dit-il avec un peu d’amertume.

— Il le faut bien, puisque vous avez l’orgueil de ne pas l’avouer.

— Mon cher enfant, reprit-il dans ces formes un peu paternelles qu’il n’abandonnait pas et qui donnaient un certain charme à la raideur de ses conseils, la question n’est pas de savoir si l’on est heu-