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brouillards chauds qui la rougissaient, on fut obligé, faute d’air, de prendre les avirons. Ce que je vous raconte, — jadis, quand j’étais jeune, plus d’une fois il m’a passé par la tête de l’écrire ou, comme on disait alors, de le chanter. À cette époque, il me semblait qu’il n’y avait qu’une langue pour fixer dignement ce que de pareils souvenirs avaient, selon moi, d’inexprimable. Aujourd’hui que j’ai retrouvé mon histoire dans les livres des autres, dont quelques-uns sont immortels, que vous dirai-je ? Nous revînmes aux étoiles, au bruit des rames, conduits, je crois, par les bateliers d’Elvire.

Ce furent là les adieux de la saison ; presque aussitôt les premières brumes arrivèrent, puis les pluies, qui nous avertirent que l’hiver approchait. Le jour où le soleil, qui nous avait comblés, disparut pour ne plus se montrer que de loin en loin et dans les pâleurs de son déclin, j’y vis comme un triste présage oui me serra le cœur.

Ce jour-là, et comme si le même avertissement de départ eût été donné pour chacun de nous, Madeleine me dit :

— Il est temps de penser aux choses sérieuses. Les oiseaux que nous devions si bien imiter sont partis depuis un mois déjà. Faisons comme eux, croyez-moi ; voici la fin de l’automne, retournons à Paris.

— Déjà ? lui dis-je avec une expression de regret qui m’échappa. Elle s’arrêta court, comme si pour la première fois elle eût entendu un son nouveau.

Le soir, il me sembla qu’elle était plus sérieuse, et qu’avec une adresse extrême elle me surveillait d’assez près. Je réglai ma tenue en vue de ces indications, bien légères sans doute et cependant assez inquiétantes. Les jours suivans, je m’observai davantage encore, et j’eus la joie de retrouver la confiance de Madeleine et de me tranquilliser tout à fait.

Je passai les derniers momens qui nous restaient à rassembler, à mettre en ordre pour l’avenir toutes les émotions si confusément amassées dans ma mémoire. Ce fut comme un tableau que je composai avec ce qu’elles contenaient de meilleur et de moins périssable. Ce dernier nuage excepté, on eût dit, à les voir déjà d’un peu loin, que ces jours cependant mêlés de beaucoup de soucis n’avaient plus une ombre. La même adoration paisible et ardente les baignait de lueurs continues.

Madeleine me surprit une fois dans les allées sinueuses du parc, au milieu de mes réminiscences. Julie la suivait, portant une énorme gerbe de chrysanthèmes qu’elle avait cueillie pour les vases du salon. Un clair massif de lauriers nous séparait.

— Vous faites un sonnet ? me dit-elle en m’interpellant à travers les arbres.