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Les événemens dont les derniers courriers d’Amérique nous ont apporté l’indication ou le récit ont beau prendre, dans les interprétations de certains journaux, une apparence contradictoire, ils n’en continuent pas moins à constater l’ascendant des états du nord dans les dernières épreuves de la guerre civile. L’on a essayé de tirer de ces nouvelles quelques inductions favorables à la cause du sud ; mais c’est à tort. Les sécessionistes ont très mal défendu l’île no 10. La perte de cette position ne leur a pas fait plus d’honneur que celle du fort Donelson. La bataille acharnée de Pittsburg, gagnée par les confédérés le premier jour, a bien été perdue par eux le second. Les fédéraux ont sur ce point la prépondérance certaine des forces. Nous croyons savoir que ces incidens de la guerre ont répandu à Richmond un profond découragement, et que les meneurs parlaient d’évacuer la Virginie et de reporter dans le sud le siège du gouvernement confédéré. Cet ébranlement moral du gouvernement de Richmond ne paraît même point étranger au voyage inexpliqué de M. Mercier, notre ministre à Washington, dans la capitale de la Virginie. Des correspondances anglaises qu’il est permis de croire exactes donneraient une explication semblable au voyage de M. Mercier. Ce serait d’accord avec lord Lyons et le gouvernement américain que notre ministre serait allé s’assurer par lui-même du découragement qui règne à Richmond, et irait tenter officieusement un effort de conciliation. Quoi qu’il en soit, nous pensons qu’il n’a jamais été plus intempestif de parler, comme le font certains journaux, de la reconnaissance prochaine de la république du sud par la France et l’Angleterre combinées.

Nous devons reconnaître qu’un discours de M. Gladstone à Manchester, par les appréciations imprévues de l’orateur, a pu donner un prétexte aux nouvelles espérances des adversaires déclarés ou déguisés de la cause américaine. Dans le jugement qu’il porte sur les mobiles de la résistance des états du nord à la sécession, M. Gladstone n’a point montré son habituelle équité. Demander, comme il le fait, aux états du nord d’admettre, en reconnaissant leur séparation, un principe mortel à l’Union américaine, et cela après une lutte qui n’a pas duré encore plus d’une année, c’est proposer à un grand gouvernement et à un grand peuple d’avoir de leur honneur un souci bien médiocre. Ceux qui vont plus loin que M. Gladstone, et qui réclament la reconnaissance des états du sud par la France et l’Angleterre, pour assurer du coton à notre industrie, ne craignent point de placer sous l’invocation d’un intérêt égoïste une des injustices politiques les plus violentes qui aient jamais été conçues ; mais cette iniquité ne servirait point à atteindre la fin pour laquelle on voudrait la commettre. L’intervention étrangère éterniserait la haine entre les deux parties démembrées des États-Unis ; elle provoquerait de telles violences qu’il est probable que la culture du coton dans les états du sud ne survivrait pas longtemps à la manifestation de la sympathie intéressée que certaines nations de l’Europe savaient montrée pour l’insurrection des propriétaires d’esclaves contre l’Union américaine.


G. FORCADE.