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actes. Ni la romance d’Urbain, — O pauvre chatte! — ni le duo pour ténor et soprano entre Féline et Urbain, ne sont choses bien nouvelles, et je ne puis citer au premier acte qu’un trio syllabique dont le type est connu depuis longtemps. A l’acte suivant, qui est le plus long et le plus fourni, un trouve encore un très joli chœur que chantent des moissonneurs, les couplets d’Urbain, — Un bon vieux roi, — une espèce de duetto entre Féline et Urbain, et l’air de bravoure de Féline avec accompagnement de chœur, où Mme Cabel prodigue toutes les fleurs artificielles de son gosier, qui est encore solide. Je préfère à tout cela le joli chœur qu’on chante pendant que, par un coup de baguette magique, on voit défiler au fond du théâtre les riches domaines du marquis de Carabas. A mon avis, le morceau le plus original de l’ouvrage est la ronde en duo que chantent au troisième acte la fée aux perles et l’ogre déguisés en paysans : — Jeune fille qui viens des champs; — ce petit rhythme agreste est bien dans la manière de M. Grisar, et je le préfère à la romance d’un style ambitieux, — Tout l’éclat qui m’environne. — A tout prendre, la Chatte merveilleuse est un ouvrage agréable, où il ne faut chercher ni la force, ni la variété. C’est une douce chanson, un peu toujours la même, qui se diversifie en chœurs, tous fort jolis, en romances, en duos, en couplets, et qui mérite en partie le succès honorable qu’elle a obtenu devant le public du Théâtre-Lyrique, grâce au prestige de Mme Cabel, qui reste toujours la cantatrice aimée du faubourg du Temple.

Un nouvel opéra en deux actes, d’une allure bien différente, a été représenté au Théâtre-Lyrique le 25 avril. C’est la Fille d’Egypte, premier ouvrage d’un compositeur qui porte un nom illustre, M. Jules Beer, le propre neveu du grand musicien qui a fait Robert le Diable et les Huguenots. Je ne crains pas de dire tout d’abord que ce début d’un dilettante de distinction est presque un coup de maître, et que depuis longtemps on n’a entendu à Paris un opéra qui renferme autant de qualités saillantes que les deux actes que nous allons apprécier. Bien que M. Jules Barbier ait emprunté la donnée de son libretto au conte charmant et si connu de M. Prosper Mérimée, Carmen, l’auteur de la Fille d’Egypte a bien vite pris une autre voie, et sa bohémienne Zemphira ne ressemble guère à « cette beauté étrange et sauvage qui étonnait d’abord, mais qu’on ne pouvait oublier. » Pauvre fille abandonnée sur les grands chemins, elle est recueillie par un contrebandier nommé Spada, dont elle devient la maîtresse, et qu’elle domine par la force et l’étrangeté de son caractère. Zemphira cependant s’éprend d’un bel amour pour un jeune Andalous, Pablo, qu’elle attire dans son désert, et qu’elle enivre pendant quinze jours de ses regards et de ses âcres baisers. Pablo se sauve de ce jardin d’Armide, et vient raconter l’étrange aventure à sa fiancée Mariquita, qu’il aime et qu’il va épouser. Il se noue alors entre ces deux femmes, Mariquita et Zemphira, une lutte de passion pour cet imbécile de Pablo, dont les péripéties forment le tissu de la pièce. Mêlez à cette donnée des contrebandiers toujours pourchassés par les douaniers de la province, joignez-y la jalousie et l’amour de Spada pour Zemphira, qu’elle conduit par le nez, lui et sa bande, et vous avez le sens d’une fable absurde et sans intérêt, où l’on trouve cependant quelques situations qui ont été comprises par le compositeur.