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abondante d’informations. A leur costume et à leur langue, je reconnus tout de suite qu’ils n’étaient pas des environs, ni même des Sibériens. Sur ma demande, ils me répondirent qu’ils venaient du gouvernement d’Archangel, du district de Mezen, au bord même de l’Océan-Glacial, et qu’ils se dirigeaient vers le gouvernement de Tobolsk en Sibérie pour y chercher de l’occupation comme vétérinaires. Ces jeunes gens avaient la figure agréable, le teint d’une blancheur extrême et la chevelure de couleur argentine, comme du lin bien peigné : n’étaient leurs yeux d’un bleu clair, ils auraient pu parfaitement passer pour des albinos. Ils m’apprirent que le pays d’où ils venaient était très pauvre, misérable même; rien n’y poussait, ni blé, ni avoine, ni orge; les habitans ne vivaient que de la pêche et du commerce et ne recevaient le pain que d’Archangel. La vue d’hommes venant de si loin et à pied me donna espoir et courage. Je leur donnai de mon côté beaucoup de détails sur la Sibérie, mais non sur les contrées que j’avais habitées, et particulièrement sur les endroits où ils trouveraient le plus de chevaux. Étrange jeu où se complaît la nature dans sa distribution de la race humaine sur ce globe! Pour ces misérables habitans des côtes les plus reculées de l’Océan-Glacial, la Sibérie est la terre promise, l’Eldorado où tendent leurs rêves de bonheur, vers lequel ils émigrent par bandes, par familles entières, pour y chercher un travail plus lucratif et un ciel plus clément.

Je ne saurais dire combien de jours je marchai ainsi en gravissant les hauteurs boisées et neigeuses de l’Oural : l’uniformité du chemin, le retour des mêmes accidens de voyage m’avaient fait perdre la notion du temps. Je sais seulement que c’est à Paouda, bien avant dans les montagnes, que je pus dormir dans une habitation humaine pour la seconde fois depuis que j’avais quitté Irbite; ce fut aussi pour la troisième fois depuis ce jour que je pris une nourriture chaude : encore ne devais-je ce petit bonheur qu’au hasard. Je traversais le village bien tard dans la soirée, et en passant devant une des cabanes où brillait encore de la lumière, j’entendis tout à coup une voix qui disait : — Qui va là?

— Un voyageur.

— Et devez-vous aller loin?

— Oh! très loin.

— Eh bien! si vous le voulez, couchez chez nous.

— Que le bon Dieu vous en récompense ! Cela ne vous sera-t-il d’aucun embarras?

— Comment un embarras! Nous ne sommes pas couchés, entrez donc.

Je franchis le seuil hospitalier, et je me trouvai dans l’habitation de deux braves gens assez âgés, mari et femme. Ils me donnèrent