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semens saints, » selon l’expression consacrée (dla pokloniénïa swiatym mostchum). Je n’entrevoyais pas encore bien clairement ce que je ferais une fois arrivé à Onéga; mais après la déception d’Archangel, j’étais assez porté à ne plus faire de grands projets et à ne penser guère qu’au lendemain. Je longeai donc résolument le bord occidental du promontoire, et je marchai plusieurs jours par un chemin bordé d’un côté par la mer et de l’autre par des monticules fortement boisés. Devant moi, je ne voyais que des sables, des bruyères ou des marais. Un fait suffira pour donner une idée de ce pays désolé. Un jour, arrivé à un possade, je ne pus y trouver de pain; les habitans en manquaient depuis près d’une semaine, le mauvais temps ayant retardé la barque qui apportait d’ordinaire la farine d’Archangel. J’y trouvai en revanche des harengs frais de la Mer-Blanche assez gros et d’un goût excellent.

Je ne fus point tenté à Onéga de faire une autre expérience avec les quelques navires étrangers que je voyais stationner dans le port. Pour la faire du reste avec une chance quelconque de succès, il m’aurait fallu passer plusieurs jours dans cette ville, où manquaient alors les groupes de pèlerins au milieu desquels j’aurais pu me cacher, me dérober à l’inspection de la police, comme à Véliki-Oustioug et à Archangel. Puis, sous l’impression encore douloureuse du terrible mécompte, j’avais décidément plus de confiance dans la terre ferme, qui jusque-là du moins n’avait pas trompé mes espérances. Deux directions par terre s’offraient à moi à Onéga, entre lesquelles il fallait maintenant choisir. L’une, à droite, m’aurait mené par les marais de la Laponie au fleuve de Tornéo, près de la frontière suédoise; l’autre, à gauche, conduisait, à travers le gouvernement d’Olonets, par Vytiégra, au golfe de Finlande et dans la Baltique. Le premier chemin était le plus fatigant, le second le plus dangereux. Si je n’avais pas fait la traversée des Ourals et du steppe de Petchora, je me serais indubitablement dirigé vers l’extrême nord et la Laponie; mais je redoutais maintenant les privations et les misères que je n’avais que trop éprouvées : exténué, découragé, j’étais déjà sur le point de craindre plus les fatigues que les dangers, et je me décidai pour Vytiégra.

Sans donc trop m’arrêter à Onéga, je poussai vers le sud en longeant les bords du fleuve qui porte le même nom. De temps en temps je me trouvais en face de pèlerins isolés qui se rendaient au monastère de Solovetsk, et auxquels je pus naturellement donner des nouvelles de l’île sainte. Je me rappelle surtout un vieillard, petit, sec, blanc comme une colombe, frais pourtant et dispos, qui me dit : « Vous doutez-vous d’où je suis? Je suis de Kargopol!... » Il prononça ce nom avec une telle fierté, avec une telle conscience de la grandeur de sa ville natale, que je crus vraiment entendre le