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passagères relations. L’âme du Hongrois, du reste, était plus propre que toute autre aux jouissances contemplatives qui forment dans la vie guerrière un si bizarre contraste avec la fièvre de l’action. Cette âme était une de celles où le goût de l’aventure et le culte de l’habitude ont contracté une singulière alliance. Laërte aimait à changer de lieu et s’éprenait volontiers d’une tendresse presque maladive pour chaque lieu où il s’arrêtait. Aucun horizon ne lui semblait assez vaste, les aspects ne lui paraissaient jamais ni assez nombreux, ni assez variés dans l’espace que le pas de son cheval parcourait, et il se mettait à rêver devant une pierre ou devant une plante qu’il avait rencontrée dans une halte : il faisait des adieux déchirans à un arbre ou à un pan de mur. Il se prit donc de passion pour une tente en poil de chameau dont lui avait fait présent l’émir et pour le petit coin de terre où cette tente resta dressée plusieurs jours sur les confins d’une oasis. Derrière cet abri nomade s’élevait un grand palmier qui était l’objet particulier de ses prédilections. Il avait toujours aimé l’arbre droit et fier dont la feuille, grave et digne comme un glaive, a mérité d’être placée dans la main des martyrs; mais le palmier qui dominait sa tente lui semblait noble entre tous les palmiers. Il croyait avoir formé, avec ce témoin silencieux des magnificences divines dans le désert, une amitié qui le relevait. Quelquefois il appuyait son front brûlant sur cet être muet et fort, espérant qu’un peu de cette paix, dont nous n’avons ici-bas que l’instinct et le désir, passerait de l’arbre à l’homme, de l’écorce à la chair.

Il avait d’autres plaisirs encore que cette singulière intimité : il aimait à se coucher le soir sur le seuil de sa tente, abandonnant au hasard des voyages surnaturels son regard qui se perdait entre ciel et terre. Il savourait ces silences tant de fois célébrés du désert, ces silences pleins de choses où nous croyons entendre les rumeurs des cités divines et le bruit de notre propre vie tombant dans le gouffre du temps. Ce qui le rendait heureux surtout, c’était la représentation, sur cet immense théâtre, d’un des drames émouvans de la nature. Ainsi il assistait quelquefois à des orages qui le ravissaient. Une de ces tempêtes, un soir, sembla prendre des proportions inconnues. Les hommes pareils à Zabori espèrent toujours que les grands spectacles de ce monde vont offrir des violences insolites et un dénoûment inaccoutumé, qu’un pan tout entier du ciel se laissera choir avec la foudre, que cette terre, lasse de nous porter, nous enverra par quelque gigantesque secousse dans les régions de l’infini. Le cœur de Laërte se mit donc à battre précipitamment, en proie à une anxiété pleine de délices. La vie impétueuse que ces mouvemens désordonnés communiquaient à sa pensée fit tout à