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nèbre, digne de celui qui l’avait inspirée. Ces seuls mots, prononcés involontairement par sa bouche, faisaient tomber sur son cœur un poids cruel accompagné d’un long gémissement. Puis Bautzen disparut et fut remplacé par un nouveau cadavre. Cette fois Zabori poussa un de ces cris d’angoisse qui, dans les songes, sont le signal du réveil. La figure éclairée par la lune était un miroir où venait de se réfléchir l’acte le plus sanglant de son existence. Il avait reconnu le témoin du meurtre caché dans la maison mauresque, le serviteur mêlé à des joies rapides et à un immense deuil, le pauvre hère que l’on désignait sous le nom du curé Mérino.

À cette dernière vision, Laërte ferma les yeux, comme si la douleur de son âme se fût communiquée à sa chair. Il éprouva une souffrance qu’il n’avait point ressentie dans la journée à l’instant où l’avait frappé une balle française; cette souffrance fut aiguë, mais rapide : la défaillance le reçut dans ces limbes où elle nous prend en dépôt pour nous rendre ensuite à l’une ou à l’autre de ces deux maîtresses implacables également obstinées à repousser nos désirs : à cette vie qui ne veut point cacher son visage, ou à cette mort qui ne veut point soulever son masque.


XV.

Quelques jours après cette scène nocturne, Zabori se retrouvait dans le camp de l’émir. Les Arabes s’abattent volontiers sur les bivacs abandonnés par leurs ennemis. Ce sont d’infatigables glaneurs qui ne gaspillent rien, si ce n’est le temps, qui ne laissent couler que les heures, qui ne sont prodigues que de leur vie. Les objets les moins précieux les attirent. Dans tout lieu où une tente s’est élevée même une seule nuit, ils passeront volontiers de longs momens, remuant avec une avidité patiente les cendres des foyers éteints pour tâcher d’en faire sortir quelque lucre imprévu. Une troupe arabe revint donc après le départ des Français sur le champ de bataille d’où elle s’était retirée la veille. Zabori fut découvert dans les broussailles où il gisait évanoui. Celui qui l’aperçut le premier était un musulman sans préjugés, qui avait admiré de bonne foi la bravoure du chrétien. Cet honnête soldat aurait mieux aimé assurément mettre la main sur un trésor que sur un blessé; cependant il se pencha sur Zabori avec un sentiment charitable, vit que la blessure du Hongrois n’offrait point de gravité, et résolut de rendre à l’émir un officier intrépide. On improvisa une litière avec quelques branches d’arbre, et Laërte fut replacé ainsi sous le joug qu’il s’était imposé.

Sa blessure se guérit rapidement. Plus d’un secret de l’art mé-