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jeunes années. Que les gens froids enfin me pardonnent et ne voient pas une image ridicule et forcée là où des hommes ardens et coutumiers des nobles périls retrouveront peut-être une de leurs visions; mais je puis affirmer que Zabori aperçut au faîte de cette tour, derrière ce draperai flottant au-dessus de la fumée, toute une légion d’ombres parmi lesquelles figuraient sa mère, les guerriers illustres de sa nation et les poètes immortels de son pays.

Laërte en quelques instans fut sur le lieu du combat. Les Arabes qui attaquaient le réduit où se maintenaient les nôtres le reconnurent. Sa valeur l’avait rendu populaire parmi tous les guerriers rassemblés sous les étendards de l’émir. Au moment où il rejoignit les assaillans, une décharge partie de la masure assiégée avait jonché le sol de cadavres et formé un grand espace vide autour des Français. Ce fut à travers cet espace que s’élança Zabori. Les musulmans, accoutumés à la verve fantasque de sa bravoure, crurent qu’il voulait emporter les murs qui venaient de leur envoyer la mort. Ils se précipitèrent sur ses pas; mais, arrivé au pied de ces remparts croulans dont les pierres désunies laissaient passer des essaims de balles, Laërte arbora brusquement un mouchoir blanc au bout d’un fusil dont il s’était emparé, et cria en français qu’il venait se rendre. Aussitôt deux mains vigoureuses le saisirent, et il se trouva comme par enchantement au milieu de la troupe décimée qui s’opiniâtrait dans une défense sans espoir.

Celui qui commandait la poignée de braves auxquels il se livrait lui montra un visage dont le seul aspect fut pour lui une première et précieuse récompense : il reconnut Serpier. L’officier jeta sur son prisonnier volontaire un regard rempli d’interrogations auxquelles Zabori répondit par ces seules paroles : Je viens vous donner ma vie pour que Dieu accepte mon âme.

L’heure n’était point propice aux explications, et Serpier d’ailleurs était de ces hommes qui n’ont point besoin de longs discours pour comprendre un élan héroïque. Il avait connu le cœur de Laërte; il en devina toutes les épreuves, il en accueillit la résolution expiatoire avec une miséricorde énergique. Après une hésitation de quelques secondes, il lui tendit sans mot dire une main qu’une balle venait de traverser. Cette poignée de main sanglante remplit le régulier d’une joie ineffable : son sacrifice n’était point rejeté.

Cependant une décharge des Arabes avait renversé le drapeau placé au faîte du bordj. Les glorieuses loques avaient glissé sur une des parois de la tour effondrée et étaient venues tomber entre les soldats de la légion. — Permettez-moi, dit Zabori à Serpier, d’aller remettre ce signe à sa place. — Et sans attendre la réponse de son