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deuse. Les résultats de l’expédition d’Espagne avaient surtout donné prise à ses critiques. L’empereur les avait ressenties au point de lui ôter la place de grand-chambellan. Retiré alors de la cour comme de la politique, toujours considérable par sa réputation d’habileté, par le prestige de son nom aristocratique, par l’éclat de sa fastueuse existence, M. de Talleyrand affecta de suivre, en spectateur désormais désintéressé et déjà un peu inquiet, le cours des événemens publics. Quand survinrent les premiers échecs de la politique impériale, sans se départir encore de sa prudence ordinaire, il ne s’interdit pas le plaisir de caractériser devant ses intimes, en quelques traits dédaigneux et rapides, bientôt colportés de salon en salon, les fautes de l’homme extraordinaire qui avait le tort de ne plus demander ses conseils. Au milieu de l’universel silence transformé par les feuilles officielles en universelle approbation, cette sourde opposition avait été fort remarquée. Après les désastres de la campagne de Russie, tous les regards de la société parisienne s’étaient naturellement tournés vers l’illustre disgracié. Ses moindres paroles, toujours rares et sentencieuses, devinrent l’objet de mille commentaires. Les plus fugitifs mouvemens de sa physionomie furent plus que jamais curieusement interprétés et, sous le masque de sa nonchalance accoutumée, les chefs encore inconnus des partis hostiles à l’empire se réjouirent de démêler de plus en plus l’intention clairement indiquée de se détacher à temps de l’ancien chef et de ne pas se laisser ensevelir sous les ruines d’un régime qui menaçait de s’écrouler.

On connaît parfaitement aujourd’hui le but que se proposait M. de Talleyrand en préparant les voies à la restauration. Évêque et grand seigneur avant la révolution, membre influent de l’assemblée constituante, ministre plus tard sous le directoire et sous l’empire, il ne professait d’engouement aveugle pour aucune forme de gouvernement. Par modération naturelle d’esprit, par calcul d’ambition légitime, il inclinait cependant vers la monarchie représentative, où la grande naissance et ses talens hors ligue lui promettaient une situation prépondérante. A ses yeux, c’était simple prudence d’exiger de l’ancienne dynastie la reconnaissance formelle du droit qu’avait la nation de disposer d’elle-même, et de lui imposer la consécration irrévocable de certaines garanties propres à rassurer lus personnes compromises dans les régimes divers qu’avait traversés la France. Le sénat, où, malgré tant de servile dépendance, les principes de 89 avaient conservé beaucoup de muets partisans, était, pour traiter avec les Bourbons, revenus de l’étranger, un instrument tout indiqué. M. de Talleyrand le trouva porté à servir ses desseins; l’empereur Alexandre, très libéral à cette époque, les secondait de son mieux. Chose plus singulière, M. le comte d’Artois,