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une de ses dépêches au duc de Wellington, aux plus fortes objections. Elle était peu solide de sa nature, parce qu’on ne parviendrait jamais à établir un accord parfait entre l’Autriche et la France, surtout par rapport à l’Italie. Si la guerre venait à éclater, il y aurait d’ailleurs cet immense danger (pie, pour protéger les Pays-Bas et les rives du Rhin contre les puissances du Nord, il faudrait de toute nécessité y appeler ces mêmes armées françaises qu’on avait eu tout récemment tant de peine à en chasser[1]. » M. de Talleyrand avait désiré être à même de réfuter de vive voix, dans quelques conversations confidentielles, les objections de lord Castlereagh. Il l’avait donc invité à passer à Paris avant de se rendre au congrès. Celui-ci ne s’y refusa point, mais il lit déclarer nettement à M. de Talleyrand « que, d’après une promesse faite depuis longtemps, il aurait à Vienne, dans les premiers jours de septembre, avec les ministres de l’Autriche, de la Prusse et de la Russie, des conférences préliminaires relatives aux engagemens contractés entre les alliés à une époque où l’Angleterre, disait-il avec franchise, était loin de pouvoir compter le gouvernement français au nombre de ses amis[2]. »

Ce fut sous l’impression de ces paroles assez peu encourageantes que M. de Talleyrand composa les instructions générales qu’il devait emporter à Vienne et dont il confia la rédaction à la plume exercée de M. de La Besnardière. L’esprit en était conforme aux sentimens personnels du roi, tels que nous venons de les indiquer. M. de Talleyrand y faisait valoir avec une merveilleuse habileté les argumens les plus heureusement calculés pour plaire à la fois à Louis XVIII et défendre dans le congrès les intérêts menacés des Bourbons de Naples et la cause si compromise du pauvre roi de Saxe. Les doctrines d’après lesquelles les souverains dépossédés par les révolutions avaient le droit absolu de reprendre possession de leurs anciens états (ce que, d’après une expression heureuse inventée par M. de Talleyrand, on a depuis appelé les principes de la légitimité) y étaient professées avec une certaine solennité et une grande pompe de langage. Est-il besoin de dire que M. de Talleyrand n’était en aucune façon la dupe de ce qu’il pouvait y avoir d’excessif dans cette théorie? S’il contribuait plus que personne à la mettre à la mode, ce n’était pas seulement parce qu’elle avait l’avantage d’être conforme au sentiment du roi, c’est aussi qu’il était commode à M. de Talleyrand de la professer alors avec éclat. Il ne faut pas en effet oublier qu’à une autre époque notre représentant à Vienne avait été lui-même l’agent principal d’un conquérant qui

  1. Dépêche de lord Castlereagh au duc de Wellington, ambassadeur à Paris.
  2. Même dépêche, 14 août 1814.