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riant M. de Talleyrand, qu’il est en communication chez les alliés.. — Ne parlez plus d’alliés, s’écria M. de Metternich, il n’y en a plus. Il y a ici des gens qui devraient l’être en ce sens que, même sans se concerter, ils devraient penser de la même manière et vouloir les mêmes choses. — La conversation continua sur ce ton amical. Le ministre d’Autriche et l’ambassadeur de France se trouvaient à peu près d’accord quand arrivèrent les autres membres du congrès. Le nouveau projet de déclaration ne préjugeait rien, et se bornait à remettre l’ouverture du congrès au 1er novembre.


« …… Mais comme les anciennes prétentions étaient abandonnées, comme il n’était plus question de faire régler tout par les huit puissances, en ne laissant au congrès que la faculté d’approuver; comme on ne parlait plus que de préparer, par des communications libres et confidentielles avec les ministres des autres puissances, les questions sur lesquelles le congrès devrait prononcer, j’ai cru qu’un acte de complaisance qui ne porterait aucune atteinte aux principes pourrait être utile à l’avancement des affaires, et j’ai déclaré que je consentirais à l’adoption du projet, mais sous la condition qu’à l’endroit où il était dit que l’ouverture formelle du congrès serait ajournée au 1er novembre, on ajouterait : Et sera faite conformément aux principes du droit public. À ces mots, il s’est élevé un tumulte dont on ne pourrait que difficilement se faire d’idée. M. de Hardenberg debout, les poings sur la table, presque menaçant, et criant comme il est ordinaire à ceux qui sont affligés de la même infirmité que lui, proférait ces paroles entrecoupées: «Non, monsieur... Le droit public? C’est inutile... Pourquoi dire que nous agissons selon le droit public? Cela va sans dire. » Je lui répondis que si cela allait bien sans dire, cela irait encore mieux en le disant. M. de Humboldt criait : « Que fait ici le droit public? » A quoi je répondis : « Il fait que vous y êtes. » Lord Castlereagh, me tirant à l’écart, me demanda si, quand on aurait cédé sur ce point à mes désirs, je serais ensuite plus facile. Je lui demandai à mon tour ce qu’en me montrant facile je pourrais espérer qu’il ferait dans l’affaire de Naples. Il me promit de me seconder de toute son influence. «J’en parlerai, me dit-il, à Metternich; j’ai le droit d’avoir un avis sur cette matière. — Vous m’en donnez votre parole d’honneur? » lui dis-je. Il me répondit: « Je vous la donne. — Et moi, repartis-je, je vous donne la mienne de n’être difficile que sur les principes que je ne saurais abandonner. » Cependant M. de Gentz, s’étant approché de M. de Metternich, lui représenta que l’on ne pourrait refuser de parler de droit public dans un acte de la nature de celui dont il s’agissait. M. de Metternich avait auparavant proposé de mettre la chose aux voix, trahissant ainsi l’usage qu’ils auraient fait de la faculté qu’ils auraient voulu se donner, si leur premier plan eût été admis. On finit par consentir à l’addition que je demandais ; mais il y eut une discussion non moins vive pour savoir où elle serait placée, et l’on convint enfin de la placer une phrase plus haut que celle où j’avais proposé qu’on la mît. M. de Gentz ne put s’empêcher de dire dans la conférence même : « Cette soirée, messieurs, appartient à l’histoire du congrès. Ce n’est pas moi qui la raconterai, parce que mon devoir s’y oppose, mais