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loir quand le moment en serait venu. Le sacrifice de la Saxe lui coûtait moins. Il l’avait complètement abandonnée. Nous savons bien que M. de Metternich, averti de la grave responsabilité que la correspondance si précise de M. de Talleyrand faisait peser sur lui, s’en est toujours très vivement défendu; nous supposons même, peut-être à tort, que des explications et des notes fournies par le chancelier autrichien ont aidé l’éminent historien du consulat et de l’empire à combattre sur ce point les assertions de notre ambassadeur au congrès, et à lui persuader que si par habileté et prudence M. de Metternich n’avait pas d’abord affiché son opposition à la confiscation de la Saxe, au fond il était décidé à n’y jamais prêter les mains. L’opinion de tous les contemporains bien informés et des diplomates autrichiens eux-mêmes n’admet pas cette tardive justification du chancelier de la cour de Vienne. On lit en effet à la date du 15 octobre, dans le journal de M. de Gentz, secrétaire du congrès et confident de M. de Metternich, quelques mots qui la démentent absolument. « Le prince de Metternich veut céder, et il cédera. La Saxe est perdue[1]. » Quoi qu’il en soit, une chose est certaine, c’est que M. de Talleyrand resta longtemps seul à défendre la cause intéressante de ce roi si estimé, si honnête et si malheureux. Cet isolement ne l’effrayait pas beaucoup. Il avait le pressentiment qu’il ne durerait pas toujours. Cependant il pensait qu’il était bon de prendre ses précautions; dès le milieu d’octobre, il avait prié le roi Louis XVIII de faire quelque déclaration publique qui fut de nature à appuyer les démarches de son ambassadeur. Il demandait en même temps qu’on lui envoyât des instructions précises, qui l’autorisassent à promettre, s’il le fallait, à l’Autriche une assistance militaire effective contre les prétentions russes. Le roi entra vivement dans la pensée de son ambassadeur.


« L’existence de la ligue dont vous me parlez est démontrée à mes yeux, et surtout le projet de se venger sur la France des humiliations que le directoire et bien davantage Bonaparte ont fait souffrir à l’Europe. Jamais je ne me laisserai réduire là. Aussi j’adopte très fort l’idée de la déclaration, et je désire que vous m’en envoyiez le projet plus tôt que plus tard; mais ce n’est pas le tout, il faut prouver qu’il y a quelque chose derrière, et pour cela il me paraît nécessaire de faire des préparatifs pour porter au besoin l’armée sur un pied plus considérable que celui où elle est maintenant...[2]. »


L’appui énergique qu’il rencontrait auprès du chef de la dynastie des Bourbons rendait M. de Talleyrand plus hardi dans sa résistance aux impétueuses fantaisies de l’empereur Alexandre. Celui-ci en était

  1. Journal de M. de Gentz, Leipzig 1861.
  2. Lettre particulière de Louis XVIII à M. de Talleyrand (sans date), entre le 20 et le 27 octobre 1814.