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blie), s’il dédaigna les beaux-arts, s’il professa le mépris des hommes et aussi des femmes, s’il ne fut jamais qu’un assez pauvre esprit, doublé d’une sorte de bon sens épais, encore faut-il lui reconnaître une des qualités du souverain : la vaillance. » Il a le diable au corps, disait son père, mais il se bat bien. » Sous Eugène et Marlborough, à Oudenarde, à Malplaquet, le prince électoral avait brillé. A Dettingen, emporté par son cheval, qui faillit l’entraîner jusque dans les lignes ennemies, il mit bravement pied à terre : « Me voilà certain de ne pas fuir! » disait-il, et, brandissant son épée avec d’énergiques allocutions en fort mauvais anglais, l’intrépide petit magot, ridicule encore malgré son intrépidité, chargeait à la tête de l’infanterie. Les Stuarts, ses compétiteurs au trône, étaient beaucoup plus ménagers d’eux-mêmes.

Du vivant de George Ier, il y avait deux cours, le roi ayant chassé du palais de Saint-James, après une querelle où on faillit en venir aux coups, et ce fils irrévérend et sa belle-fille, Caroline d’Anspach, qu’il appelait familièrement « cette diablesse de Mme la princesse. » Cette « diablesse » fut une femme méritante et dévouée entre toutes. Pour épouser George II et rester protestante, elle avait courageusement argumenté contre les jésuites convertisseurs, qui lui proposaient un archiduc d’Autriche (celui qui fut ensuite Charles VI). Elle avait de l’esprit, une langue acérée, et ne ménageait guère le vieux harem de son beau-père. Une fois retirés à Leicester-House, le roi et la reine futurs y vécurent dans le plus parfait accord, grâce à l’indulgence de la femme pour les « sentimentalités » grotesques du mari. Les Hervey, Chesterfield, Pope et le terrible doyen de Saint-Patrick étaient de leur coterie. La belle et moqueuse Mary Lepell en était aussi, qui eut plus d’une fois à repousser les audacieuses familiarités du prince de Galles, et à lui jeter au nez les poignées de pièces d’or qu’il affectait de compter devant elle pour se mieux faire valoir. Tout ne se passait pas selon les règles du plus parfait décorum à Leicester-House, ni du reste plus tard dans le palais de Saint-James. Lady Deloraine par exemple, que les malicieuses princesses avaient fait tomber en retirant la chaise où elle allait s’asseoir, rendit fort bien la pareille au roi lui-même. Du reste, curieux de ces menus détails, on s’en peut rassasier en lisant les profuses réminiscences de Walpole et de Hervey. L’apparition de ces révélations posthumes fut pour l’histoire intime des deux premiers George ce qu’ont été les fouilles de Pompeï et d’Herculanum pour la vie privée des Romains d’autrefois. Le XVIIIe siècle (anglais) fut révélé au IXe, étonné de ce franc désordre, de cette impudeur si bien affichée, de tant de brutalités mêlées à tant de cérémonies, de tant de laisser-aller masqué par tant de contrainte. Une énigme de ce temps, c’est la passion bien avérée, bien prouvée, de la spirituelle Caroline