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de grande consommation. Nous disons la taxe indirecte sur les objets de grande consommation, car nous avons dans notre système actuel d’impôts une taxe qui, bien qu’indirecte et avec une base assez large, porte néanmoins une atteinte sérieuse au progrès de la richesse publique : c’est la taxe dite droit de mutation. Cette taxe, qui est de 5 1/2 pour 100, dont 4 pour 100 pour le droit de mutation et 1 1/2 pour 100 pour l’enregistrement, arrive, avec le décime de guerre, à 6 pour 100. On comprend qu’on fasse payer pour les mutations un droit d’enregistrement; il est en quelque sorte la rémunération d’un service rendu. La transmission d’une propriété n’étant régulière et ne pouvant produire ses effets vis-à-vis des tiers que lorsqu’elle a été transcrite sur des registres spéciaux tenus par l’administration, il est naturel que le fisc veuille faire payer le prix de ce service; mais le droit de mutation lui-même, sur quoi repose-t-il? Il ne repose pas sur une augmentation de la richesse, il n’y a pas nécessairement augmentation de la richesse, parce que la propriété change de mains. C’est tout simplement un échange de valeurs entre deux ou plusieurs personnes qui ont intérêt à le faire. Le fisc intervient d’autant plus malencontreusement en pareil cas qu’il atteint celui qu’il devrait le plus ménager. Il ne faut pas croire que, l’acquéreur acquittant le droit de mutation et l’ajoutant à son prix d’acquisition, ce soit lui qui le paie en réalité. L’acquéreur achète en vue du revenu net que donne la propriété, et sous déduction de l’impôt dont elle est grevée, qui reste à la charge du vendeur, c’est-à-dire de celui qui vend le plus souvent par nécessité, et qui par cela même est le moins en état de le payer.

Mais ce n’est pas la seule objection que soulève le droit de mutation. La principale, c’est qu’il gêne les transactions, qu’il tend à immobiliser les propriétés aux mains de ceux qui les détiennent. Il y a peut-être des gens que, par souvenir des anciennes idées politiques, cette raison n’effraie pas, et qui trouvent bon qu’il y ait des obstacles à la trop grande transmission des propriétés; mais c’est le très petit nombre : le plus grand nombre est d’accord qu’il ne font apporter aucune entrave aux transactions, de quelque nature qu’elles soient, et qu’il est de l’intérêt de la richesse publique que la propriété immobilière, comme les autres, passe des mains de ceux qui ne savent pas la faire valoir, ou qui n’ont pas les capitaux nécessaires à cet effet, entre les mains de ceux qui ont plus d’habileté ou plus de capitaux. Or, avec un droit de mutation de 6 pour 100, l’entrave existe, les mutations ne sont pas aussi faciles qu’elles le seraient sans ce droit, et il en résulte que la propriété reste plus longtemps qu’il ne le faudrait dans des mains qui sont incapables d’en tirer tout le profit qu’elle doit donner. Le fisc chez nous n’a qu’une sol-