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des partisans jusque sur les bancs de la magistrature : le lord chief justice Best, plus tard baron Wynford, était d’avis que la boxe pratiquée selon certaines règles était une bonne institution anglaise. Il alla même un jour jusqu’à dire au grand jury de Wiltshire que c’était une loi de paix, law of peace en ce qu’elle décourageait, par l’usage des armes naturelles, l’emploi de lâches et criminels moyens d’attaque, tels que le poignard ou le stylet. Les faits eux-mêmes ne manquent point pour appuyer cette théorie. Un des aristocratiques patrons du ring sir Maurice Berkeley, raconte volontiers un fait dont il a été témoin et qu’il cite comme un exemple des nobles sentimens que développent chez certains hommes les habitudes du pugilat. Un vaisseau britannique, la Blanche, était engagé dans une attaque contre un navire de guerre ennemi sur les mers des Indes occidentales. Parmi les soldats de marine se trouvait un Anglais qui s’était distingué dans le monde du ring. Au moment où l’on en vint à l’abordage, il se trouva face à face avec un homme qui n’avait rien dans la main pour se défendre. L’ancien athlète venait d’être blessé à la jambe par un coup de feu ; mais à la vue d’un homme désarmé une sorte de générosité naturelle aux lutteurs se réveille en lui, il jette son sabre et termine le combat corps à corps.

Les lois du ring, ajoutent encore les partisans du système, en défendant de frapper un adversaire au-dessous de la ceinture, de lui arracher les chairs avec les ongles ou de lui sauter à la gorge, imposent des limites à la brutalité, introduisent le point d’honneur dans les rencontres personnelles, et élèvent ainsi jusqu’à un certain point les combats d’homme à homme vers un type régulier. C’est un mal qui en prévient un plus grand. Il n’est pas aisé, surtout dans certaines classes, de retenir le bras d’un Anglais au sang bouillant ; on a donc trouvé plus simple et plus pratique de modérer par les règles de l’art l’explosion des instincts batailleurs. Tous ces argumens méritent sans doute d’être pris en sérieuse considération ; mais on me paraît confondre ici deux choses bien distinctes, la box et le ring. Qu’il soit quelquefois avantageux d’élever à l’état de science ou même d’institution le sentiment de la défense personnelle, je n’en disconviens point ; s’ensuit-il pour cela que la vue des scènes horribles qui se passent trop souvent dans le cercle soit un spectacle moral et digne d’une civilisation avancée comme celle de l’Angleterre ? Déjà un parti, composé d’esprits graves et éclairés, s’élève dans toute la Grande-Bretagne contre cet usage barbare, qui, on a beau dire, perd chaque jour du terrain. À la tête de ce parti, je suis heureux de trouver l’autorité du Times ; mais, tant que ce journal prêtera aux combats de gladiateurs l’appui de son éminente publicité, ne ravivera-t-il point chez ses concitoyens une coutume qu’il