Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/508

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

eu qu’un caractère révolutionnaire; mais les faits ne sont pas d’accord avec les paroles. Ce qui doit tout d’abord mettre en garde contre les apparences, c’est que les départemens ont survécu. Tout ce qui est purement révolutionnaire ne dure pas. Quand on examine de près ce qui s’est passé dans les assemblées provinciales de 1787, on voit de tous les côtés des besoins locaux se faire jour. Sur trente-deux généralités, six n’avaient déjà que l’étendue d’un seul département : celles d’Alençon, d’Amiens, de La Rochelle, de Lille, de Lyon et de Soissons. Une, celle de Valenciennes, avait moins que l’étendue actuelle d’un département. Parmi les plus grandes, le gouvernement royal venait de diviser par le fait celles de Tours et de Moulins en y créant plusieurs assemblées provinciales, et dans presque toutes les autres s’élevaient des réclamations du même genre : le Quercy demandait à se séparer du Rouergue, l’Angoumois du Limousin, la haute Auvergne de la basse, l’Aunis de la Saintonge, etc.

« Tout disparut, dit M. Chevillard, sous l’équerre et le compas du géomètre, » assertion souvent répétée, mais très exagérée. Les départemens n’ont pas été précisément tracés par l’équerre et le compas : ce qui le prouve, c’est qu’il y a des départemens qui ont 9,740 kilomètres carrés, comme la Gironde, et d’autres qui en ont 3,548, comme Vaucluse, ou 2,790, comme le Rhône. Il n’y a pas un seul département qui soit conforme à la moyenne de 6,166 kilomètres carrés, tous sont au-dessus ou au-dessous. C’est qu’on a tenu compte plus qu’on n’a voulu en convenir des divisions historiques et naturelles. Ce qu’il y avait de plus défectueux dans ce premier travail s’est corrigé peu à peu avec le temps, et, sauf quelques réclamations de détail, l’ensemble est aujourd’hui généralement accepté.

Que veut-on dire quand on parle du rétablissement des anciennes provinces? Est-ce des généralités qu’il s’agit? Nous savons combien elles étaient inégales et mal constituées pour la plupart. Veut-on revenir aux provinces proprement dites? Voici bien un autre embarras. Les noms et les circonscriptions des provinces ont singulièrement varié dans le cours de leur histoire. Ce qui en restait en 1789 présentait encore plus de bigarrures que les généralités. Une province, le Languedoc, avait l’étendue de huit départemens; d’autres, comme la Normandie ou la Bretagne, en ont formé cinq, d’autres quatre, d’autres trois, d’autres deux, le plus grand nombre n’en a formé qu’un. M. Chevillard se tire d’affaire en fixant à vingt-cinq ou trente le nombre de ses provinces; mais cette division est tout à fait arbitraire, plus arbitraire que celle des départemens. Si on tentait de les dessiner sur une carte, on serait fort embarrassé. Admettons cependant cette première difficulté vaincue; chacune de ces nouvelles provinces, car elles n’auront rien de commun avec les anciennes, aurait en moyenne, d’après la base indiquée, l’étendue de trois de nos départemens. Ce résultat vaut-il la peine qu’on bouleverse pour l’obtenir toutes les traditions établies? Il s’est formé aussi des traditions depuis 1789, et qui ont déjà pour elles près de trois quarts de siècle; M. Chevillard le reconnaît si bien qu’il propose de refaire des provinces sans supprimer les départemens : cela seul suffit pour ruiner son idée. La province ajoutée au département ne serait qu’un nouveau rouage dans une administration déjà trop compliquée; des bureaux