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passés dans les habitudes ; on peut sans inconvénient donner cette satisfaction à ceux qui tiennent à les conserver, et qui ont vu avec consternation les départemens nouvellement annexés s’appeler Savoie et Haute-Savoie au lieu du Léman et du Mont-Blanc.

L’auteur des Études d’administration se montre plus sévère encore pour l’arrondissement que pour le département. Il le regarde comme une pure création de l’esprit, et l’appelle l’enfant de la rêverie. Je ne voudrais pas prendre la défense de l’arrondissement tel qu’il est aujourd’hui constitué ; je ne puis cependant accepter une condamnation aussi absolue. L’arrondissement, c’est l’ancienne élection : le nombre des arrondissemens est un peu plus grand que celui des élections, et par conséquent l’étendue moyenne en est un peu moindre ; mais, sur beaucoup de points, la circonscription actuelle est exactement la même que l’ancienne, le chef-lieu est le même, il n’y a de changé que le nom. Pas plus que dans les départemens, la symétrie n’y règne en souveraine. Tel département a sept arrondissemens, tel autre six, tel autre cinq, tel autre quatre, beaucoup n’en ont que trois. Comme l’étendue, la population varie. Là aussi on a subi la loi des faits. Les autorités administratives et judiciaires de l’arrondissement ne sont pas non plus sans précédens : le sous-préfet rappelle fort l’ancien subdélégué, et le tribunal de première instance n’est pas sans quelques rapports avec l’ancien présidial. Ce qui me paraît vrai dans la critique de M. Chevillard, c’est que l’arrondissement n’a pas reçu des lois qui le constituent une véritable vie. Le sous-préfet n’est qu’un agent de transmission qui n’a pas d’autorité personnelle ; il ressemble trop au subdélégué, quoiqu’il ne soit plus, comme autrefois, nommé par l’intendant ; le conseil d’arrondissement n’est qu’une ombre, un mot sans réalité.

Ici se présente la partie vraiment utile des études de M. Chevillard. En demandant la suppression de l’arrondissement, il propose de le remplacer par une organisation cantonale. Cette idée a été souvent débattue dans nos assemblées législatives ; elle avait fait l’objet d’un projet de loi préparé par MM, Vivien et Odilon Barrot, quand a éclaté le coup d’état de 1851. Je l’ai moi-même adoptée, dans mon Économie rurale de la France, comme le meilleur moyen de rendre la vie à nos campagnes. Avant l’annexion de la Savoie, la France renfermait 2,850 cantons, ayant chacun en moyenne 20,000 hectares d’étendue et une population de 12,000 habitans. Comme le département et l’arrondissement, le canton a des origines naturelles ; on le voit reparaître assez souvent dans l’organisation provinciale de 1787, et même auparavant, sous des noms divers. Dès le mois de décembre 1789, l’assemblée constituante a reconnu son existence, et depuis ce moment il s’est maintenu dans toutes nos révolutions. Il forme par essence la juridiction d’une justice de paix, et, soit pour les élections, soit pour le recrutement, on est forcé d’y avoir recours toutes les fois qu’on veut se rapprocher du plus grand nombre. Plus petit que l’arrondissement, plus grand que la commune, le canton est un centre vivant.

Il s’agirait de le rendre plus vivant encore en y établissant un conseil électif et un agent administratif sous le nom de maire cantonal. Ce conseil et cet agent auraient dans leurs attributions les institutions de bienfai-