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ses vues politiques sur les affaires intérieures et extérieures dignes de véritables hommes d’état, donnent à la chambre des lords une influence extraordinaire dans toutes les questions nationales. À ces avantages particuliers, élémens naturels d’une grande aristocratie, on doit ajouter la prépondérance et le pouvoir direct assurés par de vastes possessions et un rang illustre, qui ne sont contrebalancés que par la formation populaire de l’autre chambre et la ferme ténacité de celle-ci à maintenir certains privilèges.

Cette institution, l’arche sainte de la constitution britannique, a toujours conservé tous les respects de l’Angleterre, et a dû être respectée aussi par la royauté, à laquelle on n’a jamais permis de l’affaiblir ou de la dénaturer par l’introduction d’élémens nouveaux, même dans les momens de crise les plus difficiles. Ainsi la couronne a le droit de nommer des pairs, mais jamais elle n’a usé de ce droit que pour choisir des pairs nouveaux parmi des hommes sans postérité ou parmi des fils aînés de lords, qui, devant naturellement hériter du siège paternel à la chambre haute, n’augmentent le nombre des lords que jusqu’à la mort de quelques individus. Lord Brougham raconte que le plus grand danger auquel il ait échappé pendant tout le cours de sa vie publique, ce fut lorsqu’il était au ministère avec lord Grey, et que, sous la pression des circonstances les plus graves, il s’agissait d’enlever le vote du reform bill par une large création de nouveaux pairs réclamée unanimement du reste par l’opinion publique.

« Près de trente années, dit-il, ont passé sur ma tête depuis la crise de 1832 ; je parle de cette question politique, comme de toute autre, avec le plus grand calme.

« Lorsque j’allai à Windsor avec lord Grey, j’avais une liste de quatre-vingts pairs nouveaux conçue dans l’idée de faire le moins qu’il se pourrait d’additions permanentes à la chambre et à l’aristocratie. Les choix ne s’étaient portés que sur des fils aînés de lords, sur des hommes sans postérité, ou sur des pairs irlandais et écossais. J’avais un sentiment profond de la nécessité des circonstances particulières qui nous pressaient, et cependant telle était l’impression que me faisaient les terribles conséquences d’un pareil acte, que je me demande encore si je n’eusse pas alors préféré de beaucoup nous exposer à tous les hasards de la confusion qui eût suivi le rejet du bill, et j’ai lieu de croire que mon illustre collègue aurait partagé la résolution où j’étais de courir toutes les chances et d’affronter les clameurs du peuple plutôt que d’exposer la constitution aux dangers d’un renversement complet et imminent. »

Si la chambre des lords garde encore toute sa majesté et toute son influence modératrice, c’est dans la chambre des communes qu’en pratique du moins doivent se voter les impôts et se vérifier