Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/635

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

développement maritime des autres nations. Cela nous a été répété sur tous les tons pendant la dernière session, et si quelquefois les principaux personnages de la politique ont bien voulu prendre certaines précautions oratoires pour exprimer de pareilles prétentions, il faut bien reconnaître qu’on retrouve ces prétentions au fond de tous les discours. Si on voulait en citer un exemple, il suffirait de rappeler la réponse faite par lord Palmerston à M. Disraeli, qui proposait, au mois d’août 1861, une entente pour fixer le nombre relatif des bâtimens de guerre à entretenir par la France et par l’Angleterre. Quant à ceux que leur position politique n’oblige pas à la réserve, quant à la masse du public, elle est parfaitement convertie à ce droit nouveau. Il est bien peu de gens en Angleterre qui ne se soient laissé emporter par le torrent, même parmi les plus libéraux, même parmi ceux que l’on aurait pu croire engagés par leurs antécédens. S’il en est qui, il y a vingt ou vingt-cinq ans, ont professé des principes plus modérés, soyez convaincu qu’aujourd’hui ils ont presque tous fait amende honorable, et, eussent-ils été membres du congrès ou de la société de la paix, ils sont tout prêts aujourd’hui, à vous fixer des proportions d’infériorité qu’ils ne permettront à aucun peuple de dépasser. L’année dernière, M. Cobden lui-même écrivait que, pour satisfaire à cette nécessité nationale, il était tout prêt à voter des milliards !

Telle est la disposition présente des esprits en Angleterre, tel est le courant des passions dans lesquelles il faut entrer, si l’on ne veut pas s’exposer à perdre son crédit auprès du public. Cela ne rend pas la discussion facile avec nos voisins, et même elle est plus difficile à un écrivain français qu’à aucun autre, attendu que c’est la France, et ce qu’elle fait pour l’administration de ses ressources navales qui servent de prétextes à cette ébullition de sentimens de l’autre côté du détroit. Notre marine est dans l’imagination des Anglais ce qu’était aux yeux de Thémistocle la petite île d’Égine lorsqu’il la contemplait des hauteurs de l’Acropole, un point peut-être à l’horizon, un point que ses regards ne pouvaient atteindre qu’après avoir passé par-dessus les trois ports d’Athènes, le centre alors d’une merveilleuse puissance, mais un point que ce grand homme ne pouvait contempler sans inquiétude et sans jalousie patriotique. C’est le sentiment avec lequel les Anglais considèrent notre marine. Après des guerres aussi longues que sanglantes, et où la France a toujours été leur principal adversaire, la France se trouve encore être aujourd’hui le seul champion à la fois sincère et armé de la liberté des mers. Que la marine française perde de son importance, et pendant de longues années l’Angleterre sera certaine de conserver dans une douce quiétude et presque sans frais l’empire