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des églises européennes. Ce détail n’était pas sans importance, car, en donnant aux églises une forme très différente des constructions du pays, on appelait l’attention, on froissait sans nécessité les préjugés de l’immense majorité de la population. Les néophytes, livrés à eux-mêmes, revêtaient volontiers d’un costume chinois les images des saints qu’ils honoraient, et donnaient ainsi satisfaction aux susceptibilités des mandarins subalternes, toujours disposés à voir des emblèmes séditieux dans les images d’hommes portant un costume qui n’était pas celui du pays. Le patriotisme des petits mandarins était moins à redouter encore que leur cupidité. De temps immémorial ils rançonnaient les habitans des villages, à quelque religion qu’ils appartinssent, chrétiens, bouddhistes ou sectateurs de Confucius, et saisissaient tout prétexte pour faire rendre à l’impôt beaucoup plus qu’il ne devait rendre. Les chrétiens, plus exposés que d’autres à des vexations, à des dénonciations, subissaient aussi plus que d’autres les exigences pécuniaires du mandarin. Après que l’édit eut été connu, beaucoup de chrétiens chinois craignaient de réagir ouvertement contre les anciens erremens, et pour éviter des tracas, des interrogatoires, des comparutions en justice, acceptaient volontiers une transaction qui leur coûtait quelques sapeks. Les missionnaires n’avaient pas tous le même avis sur des transactions de cette nature ; plusieurs d’entre eux n’y voyaient pas de grands inconvéniens, d’autres au contraire les blâmaient formellement, quelques-uns n’hésitèrent pas à les taxer d’apostasie. Dans un pays où les caractères qui distinguent l’exaction de l’impôt sont loin d’être nettement accusés, il était dangereux de qualifier d’une manière aussi sévère des actes passés en usage ; on ouvrait la voie à des collisions qui pouvaient avoir des suites très regrettables.

Ces divergences d’opinion entre les missionnaires, même sur des points secondaires, constituent pour l’œuvre de la propagation du christianisme un véritable danger. des l’origine des missions, ce danger apparaît. La querelle qui éclata entre les dominicains et les jésuites à la fin du XVIIe siècle a peut-être compromis la cause du christianisme plus que les persécutions des mandarins.

On sait que le différend dont nous parlons, et auquel la bulle de Clément XI ex illa die mit un terme, portait sur l’interprétation à donner à certaines cérémonies ou expressions usitées chez les Chinois. Les jésuites avaient cru devoir adopter, pour désigner le ciel tel que l’entendent les chrétiens, le signe tien, qui dans la langue chinoise correspond au mot ciel, et mettaient dans leurs églises des tableaux contenant l’inscription suivante : King-tien (adorez le ciel). Ils avaient en outre autorisé de la part des néophytes la continuation des hommages que les Chinois rendent à leurs ancêtres,