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étaient jugés par leur chef spirituel avec beaucoup d’impartialité, et acceptaient volontiers cette juridiction, lorsqu’ils avaient une discussion avec l’un des membres d’une paroisse. Si les néophytes étaient appelés devant les tribunaux et mis en demeure d’accomplir quelque acte incompatible avec leur foi religieuse, ils déployaient une fermeté relative qui étonnait les mandarins, habitués à voir autrefois tout plier autour d’eux. Les fables répandues dans le peuple sur les pratiques du culte trouvaient moins de créance depuis que les chrétiens pouvaient vivre au grand jour, avouer leurs croyances et prêcher d’exemple. Des inondations, des famines ayant désolé plusieurs provinces, ils avaient été en mesure de pratiquer vis-à-vis de leurs compatriotes les vertus dont la loi évangélique fait un devoir, et de dissiper bien des préjugés.

Au début même de l’insurrection, qui est devenue si menaçante pour le gouvernement du Céleste-Empire, on trouverait la trace de cette action lente, mais progressive, des idées chrétiennes. Assurément. il ne faudrait pas prendre au sérieux les déclarations faites par les chefs du mouvement, et les affreux excès qu’il commettent sont bien de nature à faire répudier toute solidarité avec eux ; mais, en voyant le célèbre Taï-ping chercher dans les doctrines chrétiennes un point d’appui et un levier pour agir sur les masses, on est fondé à en conclure que ces doctrines, accueillies précédemment avec tant d’hostilité, sont envisagées aujourd’hui par les populations sous un jour différent. Pour que les ambitieux veuillent exploiter à leur profit le sentiment chrétien, il faut que ce sentiment ait cessé d’être impopulaire. Les écrits que fait publier Taï-ping, les proclamations qu’il répand sont remplis de passages empruntés aux livres saints. Sa conduite n’est guère d’accord avec ses paroles ; mais il ne se fût pas exprimé ainsi, s’il n’avait cru trouver de l’écho et se concilier des partisans. Les impériaux s’y trompèrent un moment et crurent que Taï-ping était soutenu par les chrétiens ; ceux-ci se trouvèrent alors dans une position très critique entre, les insurgés, dont ils déclinaient complètement la protection, et les impériaux, dont ils avaient à redouter les vengeances. On voit dans la correspondance des missionnaires combien d’embarras résultaient pour eux de cette situation. Quand l’armée de Taï-ping mit le siège devant Ou-tchan-fou, résidence du vicaire apostolique du Hou-kouang, le bruit de l’entente des chrétiens avec les insurgés était tellement accrédité qu’au moment où la situation de la ville devenait désespérée, les principaux fonctionnaires se réfugièrent avec leurs femmes et leurs enfans dans les maisons des chrétiens, où ils croyaient trouver un asile tout à fait sûr. On leur accorda l’hospitalité, et on parvint à les sauver après leur avoir dit que les chrétiens étaient