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Quelques étapes encore menèrent les voyageurs à Kazeh, dans l’Unyanyembé, sous le cinquième parallèle sud. Là ils firent un séjour de plus d’un mois pour se remettre de leurs fatigues. Tel est l’usage des caravanes qui viennent de la côte : avant de se diriger sur les lacs, elles se refont à Kazeh pendant six semaines des privations et des labeurs qu’elles ont endurés. Cette ville, une des plus importantes de l’Afrique centrale, est peuplée surtout d’Arabes, et elle est le rendez-vous des caravanes qui s’en vont dans l’intérieur chercher l’ivoire. Après s’être remis en marche, MM. Burton et Speke visitèrent le marché important de Msené. Ils étaient alors aux limites de la région des lacs, l’Unyamwezi, contrée fameuse dans toute l’Afrique orientale et centrale. Ce nom signifie Terre de la Lune, on l’appelle aussi le Paradis et le Jardin de l’Afrique.

C’est une coïncidence assez singulière que ce nom de Terre de la Lune donné par les indigènes à une région placée vers le centre de l’Afrique, dans la direction même où le géographe Ptolémée inscrivait, il y a dix-huit siècles, une large chaîne de montagnes à laquelle il donnait ce même nom. Ces montagnes de la Lune, nos cartes les ont tour à tour admises et rejetées ; aucun voyageur ne les avait revues ; l’Afrique passait pour être dans cette partie déprimée et couverte de sables, et la mention fournie par le vieux géographe était rangée parmi les fabuleuses inventions familières à la Grèce. On est obligé aujourd’hui de convenir que les anciens étaient renseignés mieux que nous ne l’avons cru. Ces régions de l’Afrique, que nous nous vantons d’être les premiers à visiter, sans doute elles ont vu jadis des navigateurs grecs ou phéniciens sillonner les détours de leurs côtes dans les lentes pérégrinations de leurs longs périples, quand ils lançaient leurs vaisseaux à la recherche des trésors de l’Ophir ou de la Taprobane. Toutefois ce n’est pas précisément au lieu appelé par les Africains Terre de la Lune qu’il semble qu’on doive placer les montagnes de Ptolémée, car la région à laquelle est donné ce nom, l’Unyamwezi, présente dans sa configuration un vaste plateau bien plus qu’une chaîne de montagnes. C’est plus au nord sans doute, dans ces hauts sommets découverts par Kraf et Rebmann, le Kilimandjaro, le Kenia, l’Ambolola, récemment revus par d’autres explorateurs, qu’il faut placer les monts de la Lune. Ptolémée ajoutait qu’au pied de cette chaîne s’étendait un grand lac d’où paraissait sortir le Nil. Cette autre hypothèse aussi se confirme. Il est probable que le Nil tire ses principales sources de l’un de ces grands lacs sur les bords desquels s’étend la région favorisée que la tradition continue d’appeler aujourd’hui, comme au temps des Grecs, « Terre de la Lune. »

Cette contrée de l’Afrique centrale s’étend, dans une longueur de