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et des pensées malsaines. L’architecture n’inspire à l’esprit que des idées de grandeur, de noblesse, d’austérité majestueuse. Les nudités de la sculpture laissent une impression grave, sérieuse et chaste. La peinture donne à l’âme les fêtes les plus royales et la convie aux spectacles les plus propres à lui faire admirer Dieu visible dans ses œuvres. Quelquefois cependant il s’est rencontré que l’artiste, abusant des facilités que lui fournissaient la sculpture et la peinture, s’est adressé aux dépravations des sens et aux curiosités de l’imagination ; mais une statue et un dessin impudiques ne trompent personne et disent nettement ce qu’ils veulent dire. La peinture et la sculpture sont des arts francs, loyaux, sincères, qui préviennent des corruptions qu’ils flattent. Ceux qu’une peinture ou une sculpture libertine amorcé et séduit sont corrompus à bon escient et ne peuvent condamner qu’eux-mêmes. Il n’en est pas ainsi de la musique, art dissimulé, subtil, hypocrite, et que j’appellerais volontiers jésuitique. On ne sait jamais au juste ce qu’elle veut dire, et les significations de son langage sont aussi multiples que les rêveries qu’il fait naître. Selon le mot admirable d’un poète contemporain, la langue de la musique est la seule qui permette à la pensée de garder ses voiles ; mais je tournerai en reproche cette belle expression que le poète appliquait en éloge. Protégée par ces voiles, elle dit tout avec une impudeur sans franchise. Je connais telle phrase musicale qui ferait monter la rougeur au front et qui enflammerait les yeux d’indignation, s’il était possible de traduire dans cet honnête langage humain dont vous accusiez tout à l’heure la pauvreté les pensées qu’elle renferme. La musique peut donc tout dire avec impunité, car elle brave la traduction. Il n’y a dans aucune langue parlée d’équivalens pour les expressions de la langue des sons, et ceux qui essaient de traduire cet idiome occulte sont contraints de recourir à la méthode, aujourd’hui condamnée, des périphrases démesurément allongées et des développemens parasites. Je me trompe : il y a une langue qui correspond à la langue des sons, c’est la langue obscure et puissante que parle le corps, cet admirable instrument, divinement organisé pour l’épreuve en même temps que pour l’appui de l’âme, cette langue dont les mots sont des sensations et dont les phrases sont des voluptés et des souffrances. Si vous voulez trouver des équivalens pour la langue des sons, cherchez dans les magasins de la mémoire, et tâchez de retrouver et de ressusciter les vieilles sensations oubliées et les voluptés défuntes ; priez vos nerfs de répéter certains tressaillemens d’une énergie si soudaine et d’une vivacité si exceptionnelle, qu’ils en ont gardé le souvenir ; priez vos artères de recommencer les battemens de joyeux effroi par lesquels ils ont salué un certain jour