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ramenés au calme et à la raison par une adroite et persuasive indulgence que par une violente compression. Nous n’aimons pas plus les fanfaronnades et l’intolérance provocante chez les partis conservateurs que chez les partis révolutionnaires. Aussi félicitons-nous les gouvernemens qui se sont succédé à Turin depuis 1859 de n’avoir ni désiré ni appelé la rupture avec le parti de l’action. Aujourd’hui, si la rupture s’opère, c’est ce parti lui-même qui l’aura voulu, c’est lui qui aura eu tous les torts et qui portera toutes les responsabilités. Les patriotes sensés, et ils sont en Italie l’incontestable et immense majorité, condamneront dans leur conscience les témérités factieuses du parti de l’action, pour se ranger autour du gouvernement du roi Victor-Emmanuel avec un ensemble qui donnera des forces nouvelles à ce gouvernement et à l’Italie.

Rien ne serait plus coupable, si la folie de la tentative n’était pas jusqu’à un certain point l’excuse des faibles esprits qui l’avaient préparée, rien ne serait plus coupable que l’agression méditée par quelques amis de Garibaldi contre l’Autriche. L’usurpation des droits des pouvoirs publics, des droits de la nation constituée, par quelques individus, était flagrante dans ce complot. Les conspirateurs s’arrogeaient un droit essentiellement souverain, la prérogative suprême de l’état, le droit d’engager une guerre et d’y entraîner malgré eux leur gouvernement et leur pays. Ils voulaient disposer arbitrairement des destinées de leur patrie. Après qu’une telle faute a été commise, l’erreur la plus grave est de l’excuser, et c’est malheureusement celle où est tombé le général Garibaldi. Si ce que l’on dit des projets qu’il aurait nourris depuis quelque temps était vrai, le héros de l’indépendance italienne ne serait pas dans une veine heureuse. Un moment, à ce qu’on assure, son plan avait été de se joindre à l’insurrection grecque, d’essayer de soulever les populations chrétiennes de la Turquie et de chercher à frapper l’Autriche à travers l’écroulement de l’empire ottoman. Il est inutile de s’arrêter aux difficultés d’une telle entreprise, vraie croisade à la Pierre l’Ermite ; il est superflu de relever la bizarrerie de ce long détour rêvé pour arriver à l’achèvement de l’émancipation italienne. Comment le général Garibaldi, qui doit tant et qui a fait de si nombreux sacrifices à la popularité dont il jouit en Angleterre, n’a-t-il pas compris qu’en se constituant le démolisseur de l’empire ottoman il perdrait infailliblement ces sympathies anglaises qui sont pour lui une si grande force ? Mais s’il a jamais conçu un tel dessein, la pensée en est restée enfouie dans les limbes de son imagination. Malheureusement on n’en saurait dire autant des contre-sens que révèlent les derniers actes de Garibaldi. Lui qui exprime une des plus sûres inspirations du patriotisme en pressant l’Italie d’achever son organisation militaire et d’incarner pour ainsi dire son indépendance dans une forte armée, il vient d’offenser les plus légitimes susceptibilités de l’armée italienne en se répandant en injures contre les soldats qui ont rempli à Brescia un douloureux devoir ! Lui, qui avait si bien compris jusqu’à présent la force que la cause de l’affranchissement et de