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terrain, celui que nous avons indiqué à plusieurs reprises. Il n’a pas examiné l’influence que les institutions intérieures des divers états de l’Europe qui usent leurs ressources et celles des autres dans cette concurrence ruineuse peuvent avoir sur la manie des armemens extraordinaires. Comme tout homme d’état anglais qui aspire à rentrer au pouvoir, M. Disraeli est en coquetterie avec l’alliance française. Il n’a donc que des choses agréables à nous dire. Il nous a appris dans son dernier discours quel avait été l’objet de la fameuse entrevue de Cherbourg. L’empereur voulut, suivant lui, y exposer franchement à l’Angleterre ses desseins sur la marine française. Il avait fait un devis des ressources navales qu’il jugeait nécessaires à la France pour la défense de ses côtes, la protection de son commerce et pour les mouvemens de troupes auxquels pourraient donner lieu au besoin certaines expéditions. Ce devis fut communiqué au gouvernement anglais, dont M. Disraeli faisait partie, et il ne parut à ce gouvernement ni excessif, ni déraisonnable. Cette ouverture fut accompagnée d’une autre communication non moins curieuse. La France dit à l’Angleterre : « Nous reconnaissons volontiers que vous auriez le droit d’être en jalousie, en soupçon, en défiance à notre égard, si nous dépassions les forces dont nous avons donné l’état ; mais ne croyez pas que nous éprouverions des sentimens de cette nature envers vous, si vous augmentiez considérablement votre flotte. L’Angleterre, pour ce qui concerne la marine, doit être comparée à la France pour ce qui concerne l’armée. Nous avons une immense étendue de frontières ; nous touchons à l’Europe par nos armées. Vous, Angleterre, vous avez au-delà des mers de vastes possessions, et, étant une île, vous ne pouvez communiquer avec elles que par vos vaisseaux. Vous avez un immense commerce, quatre fois plus considérable que le nôtre : pour le protéger, il vous faut une étendue de forces navales à laquelle nous n’avons jamais songé pour nous-mêmes ; mais de même que nous ne nous attendons pas à vous trouver jaloux du chiffre de notre armée, de même nous ne ressentirons jamais de jalousie contre vous à cause de la grandeur de vos forces maritimes. » Ce partage des deux élémens, la terre et l’eau, entre la France et l’Angleterre fut du goût de M. Disraeli et de ses collègues. Le chef des conservateurs soutient contre lord Palmerston qu’en ce qui touche le développement de notre flotte, nous n’avons point encore réalisé le programme de Cherbourg. Ce qu’il y a de plus clair dans les réponses de lord Palmerston, c’est que le premier ministre anglais entend d’une autre façon l’équilibre des forces entre les deux pays. Il ne balance pas la marine anglaise avec la marine française, l’armée britannique avec notre armée : il cherche au contraire dans le développement de la (lotte anglaise le contre-poids de nos forces militaires. C’est cette façon d’entendre l’équilibre qui est si coûteuse pour l’Angleterre. Cette controverse intéresse en tout cas les deux pays au même degré. Nous espérons que dans notre corps législatif on se piquera d’émulation, et qu’à propos de notre budget quelques honorables membres voudront bien donner la réplique