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cabinet de Pétersbourg des la fin de 1861, à la veille même des réunions qui allaient avoir lieu pour les élections triennales des maréchaux de la noblesse dans quelques gouvernemens, notamment à Moscou, à Toula. On n’ignorait pas autour de l’empereur Alexandre que, si l’esprit de caste régnait encore dans une partie des classes élevées, la partie la plus jeune, la plus vivace et même la plus nombreuse, était ouvertement animée des dispositions les plus libérales, qu’il y avait partout une fermentation singulière, que des manifestations sérieuses se préparaient. Le cabinet russe fit comme toujours ; il essaya tout à la fois de transiger et de contenir. Il ne pouvait, sans raison plausible, ni ajourner les assemblées ordinaires dans les cinq ou six gouvernemens où elles devaient avoir lieu cette année, ni empêcher la noblesse, une fois réunie, d’exprimer des vœux. Il imagina alors une combinaison : il voulut donner une certaine satisfaction à la noblesse en l’autorisant à se réunir en assemblée extraordinaire dans les gouvernemens mêmes où il n’y avait point d’élections de maréchaux[1] ; mais d’un autre côté il crut pouvoir circonscrire ses délibérations dans une sorte de questionnaire en cinq articles, d’où l’on ne devait pas sortir. Les questions proposées n’étaient point d’ailleurs d’un ordre bien élevé : elles touchaient aux modifications du règlement des élections provinciales et de l’administration des communes rurales par suite de l’émancipation des paysans, aux banques foncières, à la police sanitaire, etc. Le gouvernement ne vit pas qu’il n’opposait avec son questionnaire qu’une entrave inutile, que ce sont les circonstances qui donnent aux institutions leur sens et leur force. Ces assemblées, œuvre de Catherine II, n’étaient rien autrefois ; elles se réunissaient périodiquement pour élire leurs maréchaux et manifester leurs vœux. Les adresses qu’elles rédigeaient allaient au gouvernement, qui, sans les lire, se hâtait de les ensevelir pour l’éternité dans les archives des ministères, et tout était dit. Nul ne s’intéressait à ce qu’elles faisaient en dehors des familles des nobles qui aspiraient à la dignité de maréchaux. C’était ainsi autrefois, ce n’était plus ainsi au commencement de 1862, dans des circonstances si prodigieusement changées. Le public ne s’y trompait pas en Russie ; aussi attendait-on avec une impatience singulière l’ouverture de ces assemblées, qui pour la première fois excitaient un intérêt universel et devenaient l’objet de toutes les préoccupations, de toutes les conversations. Croire que dans cette situation la noblesse allait se renfermer dans les limites étroites qu’on lui traçait, parler de banques,

  1. Les élections des maréchaux de la noblesse ne se font pas en même temps dans tous les gouvernemens, mais à dus époques différentes et par périodes triennales dans chaque gouvernement.