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le fils de l’historien, le comte Schouvalof, aide-de-camp de l’empereur, le prince Vassiltchikof, tandis que la motion de M. Platonof était soutenue avec une vivacité souvent éloquente par des orateurs libéraux. Les forces des deux partis se balançaient. En présence d’une issue incertaine, M. Platonof se décida à retirer sa proposition, ou plutôt à l’ajourner à l’année prochaine. Par le fait, on se séparait ainsi sans résultat, sans avoir même voté une adresse à l’empereur, faute de pouvoir s’entendre ; mais l’opinion libérale s’était clairement manifestée, le nom des états-généraux avait retenti là où on s’y attendait le moins, à quelques pas du Palais d’Hiver, dans une assemblée remplie d’uniformes, et des mots significatifs avaient traversé la discussion, notamment celui qu’un des orateurs adressait aux adversaires des réformes : « Il est temps de les faire, il est temps, disait-il avec vivacité ; quand on répète trop souvent et trop longtemps qu’il est trop tôt, on arrive plus vite qu’on ne croit au moment où il est trop tard. »

L’assemblée de Moscou a eu un résultat plus précis et plus décisif. Ce n’est pas que là aussi la réaction et la vieille politique n’eussent des défenseurs : elles étaient représentées notamment par le comte Orlof-Davidof, par M. Bezobrazof, qui proposa une motion en faveur des privilèges des propriétaires nobles et du rétablissement de leurs droits sur les paysans ; mais le parti libéral avait une majorité immense, il comptait plus de 300 membres sur 362 dont se composait l’assemblée, et il en e9t résulté le vote d’une adresse à l’empereur demandant le self-government local, la procédure orale et publique, la solution définitive de la question des paysans par le rachat obligatoire, la publicité du budget, la liberté de la presse, enfin la convocation à Moscou, « cœur de l’empire, » d’une assemblée générale composée des représentans de toutes les classes, avec mission de préparer le projet de tout un ensemble de réformes. La noblesse de Moscou rappelle dans son adresse qu’elle s’est signalée la première en d’autres temps par ses services, lorsque l’empire était menacé par l’ennemi extérieur, et elle ajoute qu’aujourd’hui c’est l’ennemi intérieur qui est menaçant. « Dans tous les rangs de la société, dit-elle, il y a quelque déviation de la loi, et les lois, dans leur vrai sens, ne sont pas observées. Ni les personnes ni la propriété n’ont de protection contre la volonté de l’administration. Des classes sont poussées les unes contre les autres, et l’inimitié entre elles croît de plus en plus par suite du mécontentement. En outre il y a une crainte générale d’une catastrophe financière. Tel est en peu de mots l’état actuel des choses. » Un trait particulier et assurément nouveau d’ailleurs de ces assemblées de Moscou et de Pétersbourg, c’est que pendant leurs délibérations