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froisser la noblesse de Tver, il ne pouvait mieux choisir pour être l’instrument de ses sévérités que le ministre du contrôle-général Annenkof, qui, sans être un des membres les plus influens du conseil, n’en est pas moins un des plus détestés, et qui est en un mot un type parfait du bureaucrate.

L’attitude du gouvernement, ses incertitudes qui se dénouent par des recrudescences de répression et de réaction, n’ont rien fait naturellement. Elles n’ont d’autre résultat en réalité que de donner un aliment nouveau au mécontentement, d’entretenir à la surface de la société une effervescence anarchique, — périlleuse comme toutes les effervescences sans but précis et sans issue, — un malaise d’opinion qui se fait jour sous toutes les formes, par des publications révolutionnaires clandestines, par des manifestations bizarres où perce l’esprit d’hostilité. Il n’y a pas longtemps un jeune écrivain, M. Michaïlof, a été condamné à la déportation pour avoir répandu une proclamation pleine d’emportement révolutionnaire et de menaces. Il n’a cessé, dit-on, de garder pendant son jugement devant le sénat l’attitude la plus énergique. Certes ce n’était pas ce qu’il y avait de violent dans sa proclamation qui pouvait être approuvé ; il n’est pas moins vrai que lorsque M. Michaïlof a du partir pour la Sibérie, les souscriptions se sont multipliées en sa faveur. On lui a offert une voiture, de riches fourrures pour son voyage ; des matinées littéraires ont été organisées, en apparence au profit de la société des gens de lettres, et en réalité au profit du condamné. Le gouvernement a voulu un instant dissoudre la société et mettre la main sur son capital ; mais il a reculé. Des milliers de photographies ont été répandues, représentant Michaïlof en prison. C’est un martyr ! A part ce qu’il y a de cruel dans la position de M. Michaïlof, rien n’est plus facile maintenant, il faut le dire, que de devenir populaire en Russie : il suffit d’être mis en prison par la troisième section de police de la chancellerie impériale.

Un autre fait qui n’est pas moins caractéristique et qui peut avoir de plus graves conséquences, c’est ce qui est arrivé à M. Pavlof, professeur d’histoire à l’université. Dans un de ces cours libres que M. Golovnine laissait s’organiser à son avènement au ministère, M. Pavlof prononça, au mois de mars, un discours dont on a, je crois, un peu exagéré la couleur, mais qui faisait enfin une allusion libérale à la prochaine célébration du millenium de l’empire russe. Une tempête d’applaudissemens éclata aussitôt. La police s’en émut, et des le lendemain M. Pavlof était déporté à Vetlouga, dans le gouvernement de Kostroma. Cette mesure, il est vrai, fut bientôt adoucie, et M. Golovnine, qui était resté étranger à cet acte de rigueur, qui ne l’avait pas connu avant le public, autorisait peu après