Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/828

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un ton si faux, si dur, si écrasant, qui couvrent les vases et les assiettes ! N’est-ce pas un ennemi véritable introduit dans la gamme des couleurs ?

On croit logique de se proposer comme but suprême de l’art industriel l’imitation de la peinture à l’huile, parce que ses ressources puissantes permettent de reproduire au naturel le relief et la couleur, et l’on ne songe aucunement à la forme, à la dimension ou à l’usage de l’objet qu’il s’agit de décorer. Porcelaine, étoffe, tout, jusqu’à des mouchoirs de poche, sert de prétexte et de canevas à un tableau de grand style. La Vierge à la chaise, un portrait de Van-Dyck ou tel autre chef-d’œuvre de ce rang sont reproduits sans hésitation au fond d’un plat ou sur le ventre d’une potiche. Vous sortez de même des lois du bon sens et du bon goût lorsque vous imitez en porcelaine l’argent, le bronze, l’or ou l’acier. Le résultat ne saurait être qu’un pitoyable objet d’art.

D’ailleurs tous ces procédés de peinture sur porcelaine sont d’une application fort difficile ; il ne s’agit pas, comme dans la peinture ordinaire, de prendre une couleur qu’on mêle avec une autre pour les placer sur la toile ; ici il faut étudier une palette pleine de caprices et de déceptions. Ce ton vert deviendra rouge après le feu, ce gris prendra des teintes violacées, et ce rose n’est là que pour protéger la place blanche qu’il occupe. Il y a donc une foule de préparations, de précautions et de calculs, de difficultés en un mot qui, si elles ne sont pas insurmontables, arrêtent du moins tout élan, toute inspiration. Un peintre, lorsqu’il fouille sa palette, poussé par l’instinct de l’harmonie, produit des effets qu’il ne saurait obtenir en tâtonnant et par un procédé aveugle. C’est à grand’peine, dans la peinture à l’huile, si à force de glacis, de retouches générales, de parti-pris, on arrive à une harmonie d’ensemble, et vous voulez faire avec des moyens aussi indécis de la peinture sérieuse ! Qu’on ne se figure pas que nous nous escrimons contre des moulins à vent : un des chimistes les plus habiles de la manufacture démontrera sans le vouloir l’erreur que nous signalons ; nous citons textuellement. « Quand on peint, dit-il, sur la surface de la porcelaine, on n’emploie que des couleurs exigeant pour leur vitrification une température beaucoup plus basse que les couleurs de grand feu ; ce sont les couleurs dites de moufle, les seules qui aient présenté jusqu’à présent pour la peinture sur porcelaine des ressources comparables à celles que fournit la peinture à l’huile. C’est avec l’assortiment des couleurs de moufle, tel qu’il a été composé et perfectionné dans ces cinquante dernières années, qu’on est arrivé à reproduire avec une très grande exactitude les œuvres des maîtres les plus illustres. »