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et depuis cette époque, au milieu de ses travaux littéraires, l’étude de l’ostéologie comparée avait toujours conservé pour lui l’attrait le plus vif et le plus soutenu. Camper ayant énoncé l’opinion que la seule différence ostéologique entre l’homme et le singe consistait en ce que ce dernier avait un os intermaxillaire[1], tandis que l’homme n’en avait pas, Goethe, déjà profondément pénétré du principe de l’unité de composition des vertébrés, se met à l’œuvre, persuadé que cette différence n’existe pas. Loder, professeur à Iéna, l’aidait dans ses recherches, et en 1786 il prouva que l’homme avait un os intermaxillaire, méconnu avant lui, parce qu’il se confond avec les deux os maxillaires au milieu desquels il est enclavé. Plus tard, ses études et ses méditations sur la métamorphose des organes végétaux l’avaient préparé à l’une des plus grandes découvertes dont l’anatomie philosophique puisse s’enorgueillir. Au commencement de mai 1790, il était à Venise. Se promenant un jour au Lido, dans le cimetière des Israélites, son domestique ramasse un crâne de mouton, et le lui présente en riant comme une tête de Juif. Goethe regarde cette base de crâne blanchie par le temps, et tout à coup son analogie avec la colonne vertébrale lui apparaît ; il a l’intuition que le crâne n’est qu’une continuation de la colonne vertébrale, comme le cerveau n’est qu’un épanouissement de la moelle épinière. Goethe ne publia pas immédiatement ses idées, mais il en fit part à ses amis, et en particulier à la femme de Herder, dans une lettre datée du Il mai 1790. L’honneur de cette grande découverte lui revient donc ; mais Oken a le mérite de l’avoir établie scientifiquement et généralisée dans le discours d’inauguration de sa chaire d’anatomie à Iéna, en octobre 1807. L’année suivante, un Français, Constant Duméril, reconnut l’analogie des muscles qui s’élèvent du tronc à la portion postérieure de la tête avec ceux qui unissent les vertèbres entre elles : il allait à son tour découvrir l’analogie de la tête avec les vertèbres ; une plaisanterie l’arrêta. Cuvier, qui n’aimait pas les hardiesses, recevant Duméril à l’une de ses soirées, lui demanda en riant des nouvelles de sa vertèbre pensante. Duméril n’eut pas le courage de persister dans son opinion, de continuer ses recherches, d’accumuler ses preuves, et son nom ne se rattache que par un souvenir à l’anatomie philosophique. L’analogie de la tête et de la vertèbre est maintenant établie ; mais, malgré les efforts des plus grands anatomistes, Spix, de Blainville,. Bojanus, Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, Carus, Dugès, Owen et Virchow, le problème n’est pas résolu dans ses détails : on diffère sur le nombre des vertèbres crâniennes et l’assimilation des différentes

  1. C’est l’os qui porte les dents de devant ou incisives.