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douteuse, et son nom de Maremmano est en Toscane l’équivalent de paysan et de mal-appris. Sous prétexte de se prémunir contre la fièvre, on garde imperturbablement à Massa son chapeau sur la tête en toute occasion. Le langage se ressent des manières, l’accent est loin d’être aussi pur qu’à Sienne et à Pistoie, et bien des termes vieillis qui sont restés dans l’italien de la Maremme, s’ils font la joie des antiquaires, ne respirent qu’une médiocre élégance.

Les Massétans se visitent peu. Suivant un vieil usage, les hommes se réunissent un moment le soir ou à une heure de la journée chez le pharmacien de l’endroit, l’inclito spezziale, et là, devant un maigre journal bien vite parcouru, on cause des affaires du jour. Ce cercle d’oisifs forme l’été un groupe compacte et bruyant sur le devant ou au milieu de la boutique ; l’hiver, chacun arrive avec son scaldino, sorte de panier en faïence commune, de couleur marron, et sans couvercle. On met de la cendre chaude et des charbons allumés dans le corps allongé de cet ustensile, et on tient l’anse entre les mains. Le coup d’œil des causeurs assis en ligne sur le banc de la pharmacie et penchés tous vers leur scaldino, ne manque pas d’un certain effet. C’est un tableau d’intérieur digne du pinceau d’un Téniers. L’étrange instrument que je viens de décrire occupe une place importante dans le mobilier d’une maison toscane. Les dames, pour qui il tient lieu de chaufferette, en ont de très élégans, et l’on en fabrique de tout petits pour les enfans. Les hommes les plus graves ne marchent jamais l’hiver sans être accompagnés de leur scaldino, et j’ai vu à Livourne le premier avocat de la ville donner ses consultations avec cet appareil entre les mains. Les juges le portent à l’audience, les prêtres à l’église, et les douaniers se promènent le long de la mer avec cette chaufferette sous le bras. Quand un visiteur arrive dans un salon l’hiver, l’une des premières politesses qu’on lui fait est de lui présenter un scaldino après lui avoir offert un siège. Ces habitudes caractérisent la Toscane ainsi qu’une partie de l’Italie, et je ne pouvais les passer sous silence.

Pendant tout le temps que je demeurai à Massa, la promenade autour des murs de la ville, surtout du côté qui regarde la mer, avait pour moi un charme tout particulier. Massa est élevée de plus de 400 mètres au-dessus du niveau de la Méditerranée, et n’en est éloignée que de 20 kilomètres à vol d’oiseau. Le splendide tableau dont j’avais, à Populonia et Follonica, aperçu partiellement quelques coins, se déroulait ici à ma vue dans tout son ensemble majestueux. Des hauteurs de la ville, dominant cette partie de la Maremme, toutes les îles de l’archipel toscan apparaissent comme autant de terres flottantes, et au loin, à l’horizon, quand le temps est beau et l’air transparent, la Corse et la Sardaigne, sur une ligne continue, découvrent toutes deux leurs cimes étincelantes de neige. Le long du