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de gaz sulfhydrique et des tourbillons de vapeur d’eau à aveugler une armée de visiteurs, tout cet étrange spectacle m’eût comblé d’étonnement, si je n’avais pas été déjà initié, dans ma visite à Monte-Rotondo, aux différens détails de cette curieuse industrie.

De l’étude géologique générale à laquelle je me livrais dans cette excursion, il résulte que tous les soffioni sont disposés suivant une ligne qui court sensiblement du sud-sud-est au nord-nord-ouest, et autour de laquelle ils oscillent. La formation de ces fumerolles se relie au soulèvement de la chaîne qui traverse la Maremme dans cette direction et à l’apparition de roches éruptives, telles que les serpentines, qui ont produit ce soulèvement. Ces roches ont ouvert dans le sol des fissures par où les soffioni, partant d’un foyer souterrain commun, se sont fait jour à la surface.

L’établissement de Larderello, où je m’arrêtai assez longtemps, est une sorte d’usine centrale que le fondateur a entourée de toute sa sollicitude. C’est la fabrique préférée, et Larderello est devenu un petit village d’ouvriers qui possède sa place, sa statue et sa fontaine ; qui a son curé, son médecin et son pharmacien. Les travailleurs de l’établissement et les pauvres gens des lieux circonvoisins reçoivent gratuitement les soins du docteur et les médicamens ; mais M. Larderel n’a pas seulement songé pour tout ce monde au salut de l’âme et du corps, il a pensé à celui de l’esprit, et il a établi dans la petite ville qu’il a baptisée et fondée un asile pour les enfans et une école de musique. Il a fait aussi construire des ateliers de tissage pour les veuves et les sœurs des ouvriers. Enfin une sorte de caisse d’épargne qui distribue des pensions aux veuves, aux vieillards, aux orphelins de la fabrique, fonctionne régulièrement à Larderello. Toutes les autres usines, d’ailleurs, sont aussi paternellement administrées. M. Larderel, que la mort est venue frapper récemment, était l’artisan de sa propre fortune, le créateur de la grande industrie de l’acide borique, l’une des plus curieuses de l’Europe. Avant lui, le borate de soude se tirait à grands frais de l’Inde et de l’Égypte. Le subit abaissement des prix a été dû à la fabrication toscane, et les prix eussent été encore moindres sans les traités qui liaient M. Larderel. Dans tous les cas, en échange d’un peu de fumée qui auparavant se perdait dans l’air, cette fabrication a procuré à la Toscane une entrée en numéraire de plus de quinze cent mille francs chaque année ; je dis à la Toscane, car M. Larderel, non content de faire vivre les nombreux ouvriers de ses fabriques, dépensait largement tout ce qu’il gagnait, et il a englouti des millions tant dans son palais de Livourne que dans ses vastes propriétés de Pomarance. À Larderello, qu’il a fondé et qu’il se plaisait à embellir, ce qui attire tout d’abord les yeux, c’est la gracieuse place qu’il ajustement décorée du nom de Place de l’Industrie. D’un côté