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et tourbillonnante qui entoure leur frêle embarcation. Près de leur arbre ou de leur cabane à demi engloutie, un îlot formé de troncs engagés dans la vase sert de refuge pendant la nuit à des chevaux et à des bœufs aussi philosophes que leurs maîtres. Pour vivre, ces pauvres bêtes sont obligées de descendre de leur perchoir et de cheminer dans l’eau à la recherche des touffes de cannarana, sur une étroite et invisible berge limitée d’un côté par le marécage, de l’autre par la rivière profonde et rapide. Ce sont là des choses qui n’altèrent point la complète égalité d’âme de l’Indien. Quoi qu’il arrive, il sait que les eaux baisseront tôt ou tard, et en attendant il jouit des loisirs que lui fait l’inondation. Bien assez tôt viendra l’époque des basses eaux, pendant laquelle il devra secouer un peu son apathie ordinaire et déployer une certaine activité. Alors il s’installera dans le lit même du fleuve, sur les plages abandonnées, et fouillera le sable pour y trouver des œufs de tortue, ou bien lancera son harpon sur le pirarucù dans les criques et autour des bancs de sable. Ce beau poisson, qui peut atteindre une longueur de plus de deux mètres, et dont l’armure d’écaillés éclatantes semble enveloppée d’un filet aux mailles d’écarlate, forme avec le manioc la base de l’alimentation de tous les riverains de l’Amazone.

Le congrès brésilien vote chaque année 150,000 francs environ pour aider à l’amélioration des Indiens. Si cette faible somme était bien employée, on pourrait certainement obtenir d’importans résultats, car les indigènes sont en général faciles à élever ; mais ils sont également faciles à corrompre, et les exemples qu’ils ont sous les yeux ne sont pas toujours de nature à les améliorer. De l’aveu de tous les voyageurs, même les mieux disposés en faveur du Brésil, les prêtres des communautés indiennes se distinguent surtout par l’impureté des mœurs ; ils affichent naïvement leurs habitudes de débauche et se déclarent satisfaits, pourvu que leurs paroissiens tombent à genoux devant les images de plâtre qu’ils offrent à leur adoration. Les traitans portugais ou péruviens, les autres aventuriers que l’esprit de spéculation amène sur le fleuve des Amazones, ne songent guère non plus à l’amélioration des tribus indiennes avec lesquelles ils se trouvent en contact. Gens grossiers et avides, ils ne pensent qu’à s’enrichir aux dépens des naturels, quand ils croient pouvoir le faire sans danger ; ils les maltraitent, et, chose plus déplorable peut-être, ils spéculent sur l’ivrognerie de ces pauvres gens pour payer en eau-de-vie les denrées qu’ils leur achètent ou le transport de leurs marchandises : on évalue à une moyenne de 10 francs environ la somme que le traitant débourse pour rémunérer le travail d’un Indien pendant deux longues années. Enfin ceux qui ont pour mission spéciale de moraliser les indigènes ne les traitent pas toujours avec plus d’équité. Lorsque M. Avé-Lallemant