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les drogues précieuses, les céréales, les fruits, les produits industriels des plateaux, descendront par cette voie, chemin le plus court ouvert dans la direction de l’Europe et des États-Unis. Toutes ces richesses restent aujourd’hui le plus souvent sans emploi. Dans les circonstances les plus favorables, elles s’expédient par les villes riveraines du Pacifique, grevées d’une énorme augmentation de prix, ou bien se consomment sur place à cause du manque de débouchés. Quand elles se dirigeront enfin vers l’Atlantique par tous les larges canaux navigables qui s’ouvrent au pied même des Andes, alors il n’est pas douteux que les colons de toutes les races n’obéissent à l’appel du commerce et ne viennent en foule animer les solitudes de l’Amazone. Le fleuve, aujourd’hui si désert, sera sillonné par de nombreux vapeurs qui feront surgir des villes sur tous les points du rivage où toucheront leurs proues ; la tranquille Para, devenue l’entrepôt des richesses d’un territoire qui comprend la moitié d’un continent, jouera bientôt le rôle d’emporium que lui assigne la nécessité des choses, et se rangera au nombre des grandes cités commerciales de la terre. Pour hâter la réalisation de ces promesses de l’avenir, il faut que l’empire brésilien comprenne l’étroite solidarité d’intérêts qui l’unit avec les républiques voisines ; il faut que ses hommes d’état aient sérieusement à cœur les progrès de ces nations hispano-américaines qui seules peuvent donner une prospérité durable à l’immense territoire arrosé par l’Amazone. Au lieu d’agiter de misérables questions de limites à propos de vastes déserts, qu’ils peuplent ces mêmes espaces en multipliant les points de contact avec les contrées voisines, en facilitant les relations, en abolissant le monopole de la navigation à vapeur sur l’Amazone, en rappelant le tarif des douanes qui pèse si lourdement sur les produits de l’Europe, et force les consommateurs des Andes péruviennes à traverser les montagnes pour y trouver des marchés d’approvisionnement.

Déjà, depuis de longues années, les républiques du Pérou et de la Bolivie ont, par une déclaration solennelle, ouvert au commerce du monde leurs ports de rivière situés sur le Marañon et ses affluens ; mais cet appel ne saurait aboutir à aucun résultat sérieux tant que le Brésil gardera avec jalousie l’entrée du fleuve, et par son tarif exorbitant se réservera le monopole absolu du trafic. Autrefois cet empire pouvait, à tort ou à raison, alléguer la terreur que lui inspiraient les flibustiers américains et barrer l’Amazone pour rendre une descente de Walker impossible ; maintenant il n’a plus à craindre l’invasion des chevaliers du cycle d’or, puisque la république américaine n’est plus livrée aux propriétaires d’esclaves. Le moment est donc venu pour le Brésil de s’assurer à jamais la possession des régions amazoniennes en utilisant les admirables ressources de cette terre promise. Quel changement soudain s’opérerait au profit de