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reproduction servile du Pérugin, et un commencement très marqué d’inspiration personnelle. En l’étudiant avec grande attention, très peu de jours après avoir quitté Florence, et la mémoire fraîchement éveillée sur les moindres particularités de la Cène de S. Onofrio, je fus frappé de voir que dans ces deux peintures les draperies étaient traitées presque de la même façon, c’est-à-dire avec un peu de maladresse et de lourdeur, mêlées d’ampleur et de noblesse. Ce ne sont plus les plis cassés et tortillés du Pérugin, c’est quelque chose de plus large et qui aspire au grand style, sans l’avoir complètement atteint, quelque chose d’analogue aux draperies de Masaccio dans les compartimens de la chapelle du Carmine qui sont vraiment de lui, et devant lesquels Raphaël passe pour avoir si souvent médité. Cette conformité de style et d’exécution technique entre les draperies de notre fresque et celles de l’authentique tableau du Vatican n’est pas un médiocre argument, surtout après tant d’autres, pour soutenir que les deux œuvres ont eu le même auteur. Il est clair seulement que le tableau a dû précéder la fresque (et il la précède en effet de deux ans), puisque dans le tableau, à côté de ces draperies dont je parle, il y en a d’autres d’un caractère tout différent, draperies plus ou moins contournées, qu’on dirait peintes de la main du Pérugin lui-même, tandis que dans la fresque on ne trouve plus ce mélange de style, et le mode de draper est à peu près le même pour toutes les figures.

Encore un mot sur un détail de ce Couronnement de la Vierge : en regardant de près les draperies des apôtres, vous remarquerez sur les bordures des manteaux un certain nombre de lettres entrelacées dans des ornemens d’or. Ces lettres sont exactement du même genre et disposées de la même manière que celles qui bordent la tunique du saint Thomas dans la fresque de S. Onofrio. Il y a notamment sur le premier manteau, de couleur verte, à droits, un R et un F très lisibles. Voilà donc un nouvel exemple de ces signatures furtivement glissées dans les méandres d’un passement, exemple tiré d’une œuvre contemporaine de notre fresque à un ou deux ans près. Nous avons déjà dit que nous n’attachions pas à cet ordre de preuves une importance exagérée, mais n’est-ce pas aussi en faire trop bon marché que de se borner à dire, comme les éditeurs de Vasari, que l’inscription tracée sur la tunique du saint Thomas è una prova incerta?

Ce qu’il y a de plus étrange, c’est que cette inscription qu’ils traitent si cavalièrement quand il s’agit d’y voir une induction favorable à l’authenticité de la fresque, ils la tiennent pour bonne, ou du moins ils acceptent la date qu’elle indique, l’année 1505, comme une date officielle, et cela, parce qu’ils se croient en mesure d’établir qu’en