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tairement ensuite le spectacle qui se développe devant lui. Chacune de ces formes vaines subitement éclairée, un rocher, puis un autre, une ile après une île, sort lentement de l’obscur horizon vers le monde de la beauté.

« La matinée était depuis longtemps écoulée quand Onni se leva, l’œil limpide, le front sans nuage, ému et reconnaissant. Il retourna vers sa barque ; mais, avant de quitter ce rivage, son regard et ses lèvres lui adressèrent tout bas un dernier adieu : « Que la paix soit avec vous, fleurs, arbres, oiseaux, mes jeunes frères et sœurs, assemblée sainte qui aujourd’hui avec moi, dans la même église, avez béni le Seigneur et chanté sa louange ! Merci, lac brillant, soleil qui nous parles de Dieu ! Avec nos corps échauffe nos cœurs, et, pour que nous connaissions toute sa bonté, déploie son œuvre devant nos yeux ! »


LA TOMBE DE PERRHO.

« Où est la tombe qui dans le désert, depuis bientôt un siècle, verdit oubliée, sans pourtant mériter l’oubli ? — Ne le demande pas, étranger ! Vois-tu là-bas le long lac boisé se courber en se rétrécissant vers la vallée de pins et de bruyères ? Là est la place. Les bouleaux agitent au-dessus leurs verdoyantes couronnes ; parmi leurs racines, la terre recouvrit un jour cette tombe. En quel lieu précis, nul ne le sait.

« Toi dont le souvenir est plus constant que celui des hommes, muse sainte, fille de la Finlande, réponds : Est-ce un roi puissant qui est caché dans cette tombe, ou bien l’égal d’un roi ? — Non, ce n’est pas un roi, ce n’est pas son égal ; c’est le vieux paysan Sven, et avec lui ses six nobles fils. — Sieds-toi sur le bord de ce rivage élevé ; je veux te raconter leur belle histoire pendant que la rosée scintille encore sur la bruyère, et que les plus de la falaise nous abritent des rayons du soleil…

« … La paix dorée s’était enfuie ; le meurtre et le ravage désolaient les campagnes de Finlande ; les hommes succombaient, et les femmes prenaient la fuite. De Lintulax et de Saarijärvi, de Storkyro et de Lappo arrivaient coup sûr coup des messages, de tristes et menaçans messages.

« Le vieux Sven était assis dans sa cabane, devant la longue table, dînant avec ses fils, quand un fugitif, un garçon de douze ans à peine, accourt tout haletant, et du seuil s’écrie : « Que Dieu soit avec vous, vieux père Sven ! Vingt cavaliers aux longues lances viennent de brûler notre maison cette nuit. Ils font halte en ce moment dans le village où est l’église, sur le chemin de Perrho. Ils seront ici avant ce soir. »

« Sven se lève irrité : « Dieu m’a donné heureusement six fils, garçons nerveux et aux larges épaules. Si j’en avais douze, n’iraient-ils pas tous joyeux à la mort pour sauver leur patrie et le foyer paternel ? » Il dit, et détache tranquillement de la muraille son fusil rouillé.

« Rudolf, l’aîné des fils, se lève fièrement, sourit, et dit : « Les armes ne siéent pas aux mains d’un vieillard, pas plus que la lâcheté à de jeunes cœurs. Re-