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se flattait probablement guère de réaliser. Peu importe ce qu’a pu y mettre du sien Sully, lorsque, retiré dans son château de Villebon, il a raconté la république chrétienne, la paix perpétuelle et la confédération permanente des quinze états chargés de la maintenir. Sully était digne de s’associer, dans l’intimité de leurs entretiens, aux généreuses rêveries comme aux sages déterminations de son maître. Deux idées très précises et très pratiques, l’abaissement de la maison d’Autriche et l’établissement de l’équilibre européen, étaient le fond solide de ses rêveries et le but vers lequel Henri IV et son conseiller se repliaient toujours quand, après avoir librement pensé et causé, ils en venaient à mesurer ce qui se pouvait faire et à l’entreprendre réellement.

Dès qu’il apprit la mort d’Elisabeth et l’avènement de son successeur, Henri s’empressa d’envoyer Sully à Londres[1] comme ambassadeur extraordinaire, avec la mission non-seulement de renouveler l’intime alliance pratiquée, sous le règne précédent, entre la France et l’Angleterre, mais d’étendre et de fortifier cette alliance par le double mariage du dauphin, qui fut depuis Louis XIII, avec la princesse Elisabeth d’Angleterre, fille de Jacques, et du prince de Galles, Henri, avec Elisabeth de France, fille aînée de Henri IV. Sully avait pour instruction de sonder à fond les dispositions du nouveau roi sur toutes les questions pendantes en Europe, de lui montrer le roi de France prêt à s’unir avec l’Angleterre, dans toutes les hypothèses et par tous les moyens, pour combattre ou contenir l’Espagne, enfin de lui faire entrevoir les grandes combinaisons européennes que Henri avait en vue, et les grands avantages que les deux nations et les deux couronnes de France et d’Angleterre en devraient retirer. Sully s’acquitta de sa mission avec un tact admirable, à la fois ferme et caressant, habile sans petite ruse, tantôt froid observateur du roi et de la cour d’Angleterre, tantôt leur présentant nettement les propositions dont il était chargé, tantôt leur insinuant, par voie de libre et féconde conversation, les idées et les espérances qui pouvaient les attirer à la politique de son maître. Sur un seul point, il s’écarta des instructions qu’il avait reçues. Henri lui avait ordonné de se présenter à sa première audience « vêtu de deuil, pour se condouloir, au nom de sa majesté, de la mort de la feue reine d’Angleterre, comme le méritent l’heureuse mémoire de ladite dame et les plaisirs que sa majesté a reçus de son amitié. » Après un mur examen et selon les avertissemens qui lui furent donnés, « je me résolus, écrivit Sully au roi[2], de mander à vos

  1. En juin 1603.
  2. Le 14 juin 1603 ; OEconomies royales ou Mémoires de Sully, t. IV, p. 261, 337, 339, collection Petitot.