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que le prince Charles, en la voyant, avait été frappé de sa beauté, et qu’ainsi, au moment même où il allait chercher à Madrid une autre princesse pour femme, il avait ressenti à Paris, pour celle qui devait l’être un jour, un tendre penchant. Le témoignage de Charles lui-même ne permet pas de croire à cette tradition galante. Ce fut la beauté d’Anne d’Autriche, non celle d’Henriette-Marie, qui le frappa, car en sortant du ballet il écrivit au roi son père : « Depuis notre dernière lettre, nous sommes allés de nouveau à la cour, et pour que vous ne soyez pas en peine, nous vous assurons que nous n’avons pas été reconnus. Nous avons vu la jeune reine, le petit Monsieur[1] et Madame à la répétition d’un ballet masqué dont la reine se propose de donner le spectacle au roi. La reine et Madame y ont dansé avec dix-neuf belles danseuses, parmi lesquelles la reine était la plus belle, ce qui me donne un désir encore plus grand de voir sa sœur. » Pressé de ce désir, Charles partit le lendemain pour Madrid, et lorsqu’en 1624, après le complet abandon du mariage espagnol, les ambassadeurs du roi Jacques, lord Carlisle et lord Rolland, vinrent à Paris demander pour son fils la main de cette princesse Henriette-Marie, qu’il avait si peu remarquée, la reine Anne d’Autriche dit à lord Holland « qu’au ballet où le prince de Galles les avait vues l’année précédente, elle avait bien regretté que sa belle-sœur eût paru devant lui si peu à son avantage, car il ne l’avait vue que d’assez loin et dans une pièce sombre, tandis que sa figure et toute sa personne étaient infiniment plus agréables vues de près. »

Charles se trompait quand il écrivait au roi son père qu’il n’avait pas été reconnu. Le soir même du jour où il avait quitté Paris, un Écossais, nommé Andrews, vint trouver l’ambassadeur d’Angleterre et lui demanda s’il avait vu le prince. « Quel prince ? — Le prince de Galles. — Je ne voulais pas le croire, ajoute lord Herbert dans le récit qu’il a fait de sa vie, jusqu’à ce qu’il m’eût assuré, avec tous les sermens du monde, que le prince était en France, et qu’il avait charge, lui, de suivre son altesse ; sur quoi il me demanda, au nom du roi mon maître, de le servir de mon mieux pour ce voyage. » Une fille de service rapporta aussi qu’elle avait vu le prince de Galles, et qu’elle était sûre que c’était bien lui. Quoique piqué que le prince ne l’eût ni visité ni instruit du secret, lord Herbert alla le lendemain, de grand matin, trouver le secrétaire d’état, M. de Puisieux, encore endormi, et le fit prier de se lever, car il avait à l’entretenir d’une affaire importante. « Je sais votre affaire aussi bien que vous, lui dit le ministre ; votre prince est parti ce matin pour l’Espagne. » La nouvelle circula rapidement partout, et suscita en

  1. Gaston, duc d’Orléans, frère de Louis XIII.