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rauté telle qu’elle existe aujourd’hui est une raison d’ordre, de gouvernement, de politique intérieure, mais non pas d’efficacité et de services rendus. La marine, c’est la vie même de l’Angleterre. Ce n’est pas seulement la condition d’existence de son empire colonial, la cause de la prospérité de son commerce, la source principale de ses richesses et de sa gloire militaire; c’est encore au dedans le bouclier qui l’a protégée depuis huit siècles contre toute tentative d’invasion, le rempart à l’abri duquel s’est développée sa liberté; c’est encore à l’extérieur l’intermédiaire par lequel elle communique avec le reste du genre humain. Aussi, et à cause même de l’immensité des intérêts qu’elle représente, on ne croit pas qu’il serait prudent de confier à une seule main le pouvoir suprême sur un organe aussi important de la vie nationale. Il existe bien parmi les dignités qui dépendent de la couronne une charge de lord high admiral (lord grand-amiral), haut fonctionnaire qui devrait concentrer sous sa direction toutes les branches de l’administration maritime; mais depuis la révolution de 1688 cette charge n’a été remplie qu’une seule fois, et encore très passagèrement : le reste du temps, elle a été, comme on dit en Angleterre, mise en commission, et c’est cette commission que l’on appelle le bureau d’amirauté ou, plus simplement encore, l’amirauté.

Depuis le règne de Jacques II, il n’y a eu qu’un lord grand-amiral en Angleterre, sous le règne de George III. L’un des fils de ce prince, le duc de Clarence, exerça cette charge pendant quelques mois. Il avait servi dans la marine et y avait laissé de très honorables souvenirs, il devait lui-même occuper le trône sous le nom de Guillaume IV, et avec le surnom populaire de king sailor (le roi-matelot); malgré tout, il ne resta pas longtemps en place. L’histoire raconte qu’en 1827, et lorsqu’il était au pouvoir, ayant à signer les instructions que le gouvernement adressait à l’amiral Codrington qui commandait l’escadre du Levant, le duc de Clarence ajouta, aux longues considérations où se déployaient à l’aise toute la prudence et toute la prévoyance ministérielles, un post-scriptum ainsi conçu : Go on, my dear, and burn those damned rascals; « allez de l’avant, mon cher, et brûlez-moi ces maudits coquins. » L’amiral Codrington, convaincu que, pour venir de son chef direct et pour être tracé par une main royale, ce post-scriptum ne devait pas moins qu’à l’ordinaire être considéré comme donnant la clé de toute la correspondance, livra, au reçu du paquet, la bataille de Navarin. Il en coûta sa charge au duc de Clarence. La nouvelle de la bataille, qui excita de si vifs transports de joie en Europe, fut très mal accueillie en Angleterre par le gouvernement d’alors, qui la qualifia, à l’ouverture de la session suivante, on se le rappelle sans doute, de untoward event (événement malencontreux). Aussi, lorsque l’amiral Codrington, sommé