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Tous les jours, goutte à goutte, épuisant le calice,
Elle avait sa visite, et lui parlait tout bas !

On voyait remuer sa lèvre violette,
Qui murmurait alors des mots mystérieux.
Son regard commentait la parole incomplète :
Le secret de la mort éclatait dans ses yeux.

Elle vivait d’adieux depuis bien des années,
Attendant le signal, un pied dans le cercueil ;
Elle ne comptait plus le temps que par journées,
Toujours en noir, portant déjà son propre deuil !

Seuls, ses fils retenaient ici cette ombre vaine,
Jusqu’au jour où, voyant l’avenir affermi,
Elle ôta de son front la dernière verveine,
Et laissa retomber son visage endormi.

Hier, avec respect nous l’écoutions encore ;
Ce matin, la poussière a cessé de souffrir,
Et, comme un dernier grain d’encens qui s’évapore,
La noble créature a fini de mourir.

Mai 1861.


III. — DISCRÉTION.

Ne le dis pas à ton ami
Le doux nom de ta bien-aimée :
S’il allait sourire à demi,
Ta pudeur serait alarmée.

Ne le dis pas à ton papier,
Quand tout bas la Muse t’invite :
L’œil curieux peut épier
La confidence à peine écrite.

Ne le trace pas, au soleil,
Sur le sable, le long des grèves ;
Ne le dis pas à ton sommeil,
Qui pourrait le dire à tes rêves ;

Ne le dis pas à cette fleur
Qui de ses cheveux glisse et tombe,
Et s’il faut mourir de douleur,
Ne le dis pas même à la tombe :

Car ni l’ami n’est assez pur,
Ni la fleur n’est assez discrète,