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désirerait, les théologiens catholiques qui l’entretiendraient de leur religion. Enfin, et sans que ceci fut exprimé dans aucun article public ou secret, le gouvernement espagnol annonça l’intention de ne conclure définitivement le mariage que lorsque le roi d’Angleterre aurait accepté sous serment tout ce qu’on lui demandait, et de ne laisser partir l’infante pour l’Angleterre qu’au printemps de l’année suivante, lorsque les dispositions du traité en faveur des catholiques seraient d’une façon incontestable en voie d’accomplissement.

La plupart de ces dispositions n’avaient rien que de juste en soi et de conforme au droit moral et au bon sens ; mais elles étaient en contradiction flagrante avec les lois, les idées et les passions anglaises, et elles exigeaient de la protestante Angleterre ce que les nations catholiques, l’Espagne en tête, n’accordaient point aux protestans. Aussi, quand les articles de ce traité commencèrent à être connus ou seulement soupçonnés en Angleterre, l’émotion publique fut extrême : de toutes parts on réclamait, on déplorait, on refusait de croire que le roi et le prince pussent jamais consentir à de telles conditions. L’archevêque de Cantorbéry, George Abbott, prélat populaire, de convictions sincères et de mœurs douces, crut de son devoir d’adresser au roi une remontrance pleine de prédictions sinistres. À Madrid, Charles et Buckingham firent un effort pour faire atténuer ce que les nouvelles exigences du pape avaient de plus difficile à faire accepter ou plutôt subir par le parlement et le peuple anglais ; mais ils y réussirent si peu et ils sentaient si bien eux-mêmes le péril d’un tel traité, qu’en le transmettant au roi Jacques[1], ils lui dirent : « Si vous vous effarouchez de la clause secrète par laquelle vous promettez que, dans trois ans, le parlement révoquera les lois pénales contre les papistes, nous vous ferons observer que, dans notre opinion, lorsque vous aurez fait de votre mieux pour obtenir ce résultat, si vos efforts ne sont pas efficaces, vous n’aurez pas manqué à votre parole, car ce que vous promettez, c’est que vous ferez pour réussir tout ce qui sera en votre pouvoir[2]. »

  1. Le 6 (16) juin 1623.
  2. Je joins ici la traduction d’une conférence du prince de Galles avec le comte d’Olivarez et le conseil de Philippe IV, qui montre quelles étaient les difficultés de la négociation avec la cour de Rome. Ce document est tiré des archives de Simancas.
    Note remise à la cour de Madrid par son altesse le prince de Galles au sujet des additions faites par la cour de Rome aux articles qui lui avaient été envoyés de Madrid en demandant la dispense pour le mariage.
    « Sa majesté catholique et ses ministres ayant traité avec son altesse le prince de Galles de la sécurité que pourrait avoir sa majesté pour prêter le serment que sa sainteté exige, serment par lequel sa majesté s’obligerait à insister jusqu’à obtenir du parlement d’Angleterre, dans le terme d’une année, l’exécution de ce qui a été convenu en faveur des catholiques.
    « Son altesse promit de ne rien négliger pour en arriver là, et pour faire différer l’exécution des lois publiées contre les catholiques, en attendant que le parlement les abrogeât. Et les ministres de sa majesté, ayant prié son altesse de vouloir bien fixer l’époque vers laquelle le parlement approuverait les propositions de sa majesté catholique, son altesse promit sur parole que le parlement les approuverait dans trois ou six mois ou une année, lorsque l’occasion se présenterait, mais irrévocablement dans le terme de trois ans.
    « Le comte d’Olivarez et les autres ministres de sa majesté, d’accord avec son altesse, ayant trouvé que certains articles du traité fait entre les deux rois et envoyé à Rome avaient subi quelques changemens par ordre du pape, et supposant que le nonce aurait la faculté d’approuver les explications et modifications exigées à raison de leur sévérité, cherchèrent ensemble la manière d’aplanir les difficultés survenues par les demandes de sa sainteté. Les changemens exprimés étaient les suivans :
    1° Au lieu de dire : « que les femmes choisies pour allaiter les enfans de leurs altesses pourraient être catholiques et devraient être nommées par l’infante, » le pape veut qu’il soit dit : « devraient être catholiques ; »
    « 2° Qu’il soit permis à tout catholique romain des royaumes et domaines de sa majesté le roi de la Grande-Bretagne d’entrer librement à l’oratoire, chapelle ou église de la sérénissime infante, et d’y assister aux offices divins ;
    « 3° Que les susdits catholiques, vassaux de sa majesté, ne prêtent d’autre serment que celui dont la formule a été insérée, pour les gens de l’infante, dans le contrat de mariage ;
    « 4° Que les enfans soient élevés sous la surveillance directe de l’infante jusqu’à l’âge de douze ans
    « Sur le premier point, son altesse fit observer combien la susdite clause d’exclusion pourrait amener d’inconvéniens et de mécontentemens dans le royaume d’Angleterre, et qu’en accordant à la sérénissime infante le droit de nommer les nourrices, on accède à la demande du pape, car il est clair que l’infante les choisira de sa religion.
    « Sur le second point, après avoir représenté tous les inconvéniens qu’une trop grande affluence de monde pourrait causer au service du roi son père et aux catholiques eux-mêmes, son altesse a fait observer qu’il n’était pas absolument nécessaire d’accéder à la demande du pape, attendu que les catholiques étaient libres de célébrer chez eux les offices divins. Toutefois, désirant faire connaître qu’il était très disposé à aplanir toutes les difficultés, son altesse promit que l’on tolérerait la présence des catholiques à l’église de l’infante, et elle se chargea d’arranger tout pour le mieux, afin que personne n’eût à se plaindre ; mais son altesse assura qu’il était impossible d’accorder à tous la liberté d’aller au susdit oratoire, chapelle ou église, car autrement il s’ensuivrait que l’exercice de la religion, romaine serait publiquement toléré, ce qui, selon sa majesté catholique elle-même, ne devait pas se proposer, vu l’opposition formelle du roi de la Grande-Bretagne.
    « 5° Son altesse fit aussi comprendre que la formule du serment que l’on devait demander aux catholiques leur était plutôt désavantageuse, les déclarant incapables, par cela, de toutes les fonctions publiques qui exigent un serment, et comme on avait déjà arrêté qu’on ne pourrait leur en demander contre leur conscience et religion, il n’y avait aucun motif pour faire prêter un nouveau serment à tous ceux qui n’appartiendraient point à la maison de l’infante. Son altesse fit remarquer en outre combien il était inconvenant que le pape ordonnât pareille chose et dictât la formule du serment de fidélité dû au roi de la Grande-Bretagne par ses vassaux.
    « Quant à la quatrième proposition, relativement à l’éducation des enfans sous la surveillance de l’infante jusqu’à l’âge de douze ans, son altesse rappela qu’en premier lieu on avait fixé l’âge de sept ans, et qu’après de vives instances le roi son père avait accordé trois ans de plus, déclarant qu’il en resterait là. Son altesse ajouta que, d’après la coutume d’Angleterre, les fils des rois ne sont pas aussi longtemps sous la surveillance de leur mère, et qu’il était évident qu’en ceci il ne pouvait rien accorder ; il promit néanmoins d’intercéder auprès du roi son père pour obtenir cette faveur qu’il n’hésiterait point à concéder, si cela était absolument en son pouvoir
    « Son altesse crut avoir ainsi donné toute satisfaction à sa majesté et à ses ministres, non-seulement en ce qui regardait les difficultés énoncées ci-dessus, mais encore par le zèle qu’il avait déployé pour les aplanir et arriver à un heureux résultat. Le comte d’Olivarez raffermit dans son opinion, assurant qu’à son avis son altesse avait accédé à tout ce que consciencieusement on pouvait exiger de lui
    « Son altesse attendait la résolution de sa majesté catholique, lorsque le marquis de Monte-Claros et le comte de Gondomar sont venus le prévenir que le nonce avait déclaré qu’on ne pouvait rien changer de ce qui avait été fait à Rome, et que lui, nonce de sa sainteté, se verrait contraint à refuser la dispense, ce qui par conséquent empêcherait de passer outre, si les articles subissaient la moindre modification. Les susdits ministres, sans excepter le comte d’Olivarez, ont avoué que jusqu’alors ils avaient été dans la confiance que le nonce aurait la faculté d’approuver des changemens devenus absolument nécessaires. Le comte (poussé par son zèle afin de surmonter toutes les difficultés) a donné à son altesse le conseil de choisir un des moyens suivans : 1° faire en sorte que le roi de la Grande-Bretagne approuve les articles tels qu’ils ont été envoyés de Rome ; 2° dépêcher quelqu’un à Rome, de la part de sa majesté catholique, afin de persuader à sa sainteté qu’elle s’en tienne aux propositions faites par son altesse le prince, pour procéder ainsi au mariage
    « Cependant son altesse a jugé que les deux moyens proposés par le comte d’Olivarez offraient aussi de trop grandes difficultés à surmonter : il a prié sa majesté de vouloir bien en indiquer un troisième, et de faire toutes les concessions possibles pour arriver à une bonne et prompte solution, de quoi son altesse lui saura gré. Si on ne peut trouver ce troisième moyen, son altesse s’en tiendra aux indications du comte d’Olivarez, d’après les conseils duquel il prie sa majesté de vouloir bien intercéder en sa faveur auprès de sa sainteté. Et puisqu’il faut absolument avoir recours aux moyens ci-dessus indiqués, son altesse demande à sa majesté la permission de partir tout de suite, car il n’est pas douteux que par sa présence il n’obtienne quelques concessions du roi son père, et il prie sa majesté de faire expédier à Rome sans perte de temps. »