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Un seul homme, le comte de Bristol, eût pu contester, sinon avec la faveur publique, du moins avec précision et autorité, les assertions du duc de Buckingham ; mais il tarda à rentrer en Angleterre, et quand il y arriva, le roi Jacques, en lui faisant parvenir des paroles d’estime et de regret, lui interdit de paraître au parlement et à la cour. Bristol se prêta au silence, et Buckingham parla sans contradicteur.

Les ambassadeurs d’Espagne, Inojosa et Coloma, tentèrent contre lui une forte attaque ; ils l’accusèrent d’avoir, dans son récit, porté atteinte à l’honneur du roi d’Espagne : « Si un sujet du roi notre maître, dirent-ils, eût dit de telles choses sur le roi d’Angleterre, il eût payé ses paroles de sa tête. » Buckingham informa lui-même la chambre des lords de cette accusation, demandant qu’elle examinât et déclarât s’il eût pu légitimement laisser en dehors aucun des détails de son récit. Les lords répondirent sur-le-champ que « le duc n’avait rien dit qu’il ne fût à propos de dire et à quoi il ne fût naturellement conduit par son sujet, et, après en avoir conféré ensemble, les deux chambres présentèrent au roi Jacques un mémoire portant : 1o qu’elles acquittaient et déchargeaient absolument le duc de Buckingham du reproche d’avoir prononcé des paroles offensantes pour le roi d’Espagne ; 2o que, si le duc eût omis quelque chose de ce qu’il avait raconté, il eût manqué à ce qu’il devait au roi et au parlement ; 3o que, pour leur compte, elles l’honoraient à raison de ce récit, et lui exprimaient leur reconnaissance pour la fidélité et l’habileté qu’il y avait déployées. » Le roi Jacques remercia les chambres de cette déclaration, et y adhéra lui-même dans les termes les plus pompeux et les plus affectueux pour son favori.

Les Espagnols ne se tinrent pas pour battus. Après avoir vainement tenté d’obtenir du roi Jacques une audience particulière, ils saisirent, dans une réunion de la cour, un moment où le prince Charles et Buckingham étaient occupés ailleurs, et le marquis d’Inojosa glissa furtivement dans la main du roi un papier que Jacques, averti par un signe, mit aussi furtivement dans sa poche. Le soir même, curieux et un peu inquiet de ce que ce papier lui faisait entrevoir, Jacques permit que, vers minuit, on introduisît dans son cabinet un secrétaire de l’ambassade espagnole, don Francisco Carondelet, qui lui représenta vivement, au nom des ambassadeurs, qu’il était prisonnier dans son propre palais, entouré de gardiens et d’espions ; qu’aucun de ses serviteurs n’osait exécuter ses ordres ni l’informer de rien sans s’être assuré de l’approbation de Buckingham ; que l’Angleterre n’était plus gouvernée par son roi, mais par un homme qui, pour satisfaire ses propres vengeances, travaillait à engager son maître et son bienfaiteur dans une guerre injuste et