Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/608

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’avoir à mêler l’indignation à l’admiration, et à reconnaître la justice des coups qui frappent ceux qui avaient mérité leurs succès. J’éprouve ce sentiment à l’aspect d’Alexandre fou, de César assassiné, de Napoléon déchu. Les revers de ces rois du monde n’ont été que le naturel et légitime retour de leurs égaremens. Mais comment contempler sans une émotion douloureuse ces grandes créations tout à coup changées en grandes ruines ? Rien de semblable ne s’éveille dans notre âme là où manque la grandeur ; il n’y a rien de pénible à voir échouer la médiocrité vaniteuse, et les infortunes des petits esprits placés trop haut pour leur portée satisfont à la justice sans inspirer une tristesse sympathique. Je suis ramené à ce que j’ai dit en commençant ce récit : les problèmes et les événemens qui agitaient à son début le XVIIe siècle étaient les mêmes qu’au XVIe, et toujours aussi grands ; c’était toujours le catholicisme et la monarchie européenne aux prises avec le protestantisme et l’équilibre européen des états. Les premiers représentans de ces grandes causes, Charles-Quint et Philippe II en Allemagne et en Espagne, Elizabeth en Angleterre, Guillaume de Nassau en Hollande, Henri IV en France, avaient été au niveau de leur tâche, et l’avaient, chacun à son poste, bien comprise et résolument poursuivie. Quand on tombe de ces grandes figures à celles de Philippe IV et d’Olivarez, de Jacques Ier et de Buckingham, on ne saurait s’étonner, ni s’attrister de leurs échecs. Ils ne se sont pas doutés de la grandeur des questions posées devant eux ; leur vue était trop courte pour les reconnaître, et leur cœur trop faible pour les accepter. Embarrassés et impuissans dans cette arène trop haute pour eux, ils ont substitué l’hésitation à la résolution et l’intrigue à la lutte. Anglais ou Espagnols, ils ont tous également échoué dans leurs petits desseins et leurs petits efforts, et on peut s’amuser de la comédie royale que je viens de retracer sans s’émouvoir pour les acteurs.

Je n’ai pas encore dit le dénoûment de cette comédie. Quand le roi Jacques, quoiqu’il continuât à en traiter, s’aperçut enfin que le mariage espagnol échouerait, il expédia sur-le-champ à Paris lord Kensington pour sonder de nouveau le terrain et y replanter, s’il était possible, les jalons du mariage français. Et au moment même où le prince Charles et Buckingham quittèrent Madrid, un moine en partit pour aller, de son côté, à Paris rouvrir devant Marie de Médicis, et pour sa fille, la princesse Henriette-Marie, la perspective du mariage anglais. Quelques documens jusqu’ici inconnus, et que je recueille, me manquent encore pour éclairer cette dernière scène du drame. Je ne tarderai pas à la raconter.


GUIZOT.


Val-Richer, juillet 1862.