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des routes assez larges pour faire manœuvrer de front tous ces véhicules. Une voie nouvelle s’ouvrit à travers Hyde-Park en l’honneur de l’exposition ; les autres rues adjacentes élargirent la chaussée, se pavèrent à neuf ou se macadamisèrent. Ouvrir des lignes qui n’existaient point, remanier les trottoirs, bâtir de nouveaux quartiers à la vapeur, tout cela n’étonnerait pas beaucoup les Parisiens, qui vivent depuis une dizaine d’années dans une crise perpétuelle de démolition et de reconstruction ; mais jamais rien de pareil ne s’était vu à Londres, qui s’accroît démesurément d’année en année, sans pour cela bouleverser l’intérieur de la ville[1]. D’un autre côté, les marchands de Londres attendaient l’exposition de 1862 comme un messie qui devait redonner une vie nouvelle au commerce, guérir les malades et ressusciter les morts. Un négociant de la Cité, qui se trouvait mal dans ses affaires, assembla ses créanciers et leur demanda un répit fondé sur l’espérance qu’il avait de rétablir sa maison au moment de la grande foire industrielle : ce répit fut immédiatement accordé. Tout le monde se proposait de battre monnaie à sa manière sur les visiteurs. Je connais un Anglais qui, ayant loué et meublé un appartement pour lui dans le voisinage de Kensington, eut un jour l’idée de le louer pendant le temps de l’exposition universelle ; peu à peu le goût de la spéculation le gagna, il en est aujourd’hui à son septième logement, et je ne voudrais point jurer qu’il ne disposera pas de celui-ci, comme il a fait des autres, en faveur des étrangers. Les interprètes, c’est-à-dire tous ceux qui pouvaient écorcher quelques phrases dans une langue quelconque, se mirent également sur pied pour trouver de l’ouvrage[2] ; mais l’industriel qui m’a le plus diverti est un joueur d’orgue, un Italien avec lequel j’échange quelques mots quand je le rencontre. Il a fait ajouter à son instrument deux ou trois airs, entre autres la Marseillaise, espérant ainsi réjouir le cœur et les oreilles séditieuses des Français qui viendront à Londres.

L’autorité anglaise, quoique généralement étrangère à tout ce mouvement, — car l’exposition de 1862 s’est faite, ainsi que la plupart des choses en Angleterre, par la nation et pour la nation, — crut devoir pourtant prêter main-forte à la ville de Londres, menacée par l’invasion des voleurs étrangers. Des rapports alarmans venus d’au-delà du détroit annonçaient que tous les coupe-bourse des quatre coins de l’horizon se proposaient de fondre en 1862 sur la métropole britannique. Qu’y a-t-il là d’étonnant ? « Où gît un ca-

  1. Depuis 1849, le nombre des maisons s’est accru de soixante mille, et la longueur des rues de près de neuf cents milles.
  2. Un des fruits de l’exposition universelle est un journal polyglotte imprimé en trois langues et sur papier rose : c’est là d’ailleurs son seul mérite.