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même temps « son souverain seigneur, » que, quoique mariée, elle se considère toujours comme tenue, avant tout, au devoir d’obéissance envers lui, qu’en fait son bien-être dépend de lui, car elle est pauvre, elle a épousé en secondes noces un prince pauvre, et sa principale ressource consiste dans une pension que lui fait François Ier, et qu’elle fut un instant menacée de perdre sous Henri, II. Il faut se souvenir, également qu’avec un fonds de bonnes qualités François Ier est cependant un des princes en qui l’absolu pouvoir, ce grand corrupteur des rois, a le plus développé les penchans égoïstes, le besoin de tout rapporter à lui ; c’est un enfant gâté, accoutumé dès son enfance à être non-seulement aimé, mais adoré, qui trouverait certainement fort mauvais que les attachemens, qu’il permet à sa sœur soit comme épouse, soit comme mère, pussent entrer en rivalité avec le culte qu’elle lui doit. Il y a donc deux choses dans ce fanatisme continu que Marguerite, exprime pour François Ier : il y a un sentiment très sincère, mais il y a aussi une petite part de diplomatie en quelque sorte involontaire et habituelle à l’égard d’un frère très affectueux il est vrai, mais très exigeant. Si l’on en doutait, il suffirait de lire quelques lignes d’une lettre du second recueil publié par M. Génin, où Marguerite se justifie auprès de son frère du crime énorme d’avoir dit que peut-être elle mourrait la dernière. Ce propos semble avoir été rapporté au roi comme l’expression d’un désir, tandis qu’il exprimait au contraire une crainte, et il n’en a pas fallu avantage pour que le roi, en quittant sa sœur, lui ait fait sentir son mécontentement par quelque phrase amère, destinée à l’encourager ironiquement dans l’espérance qu’il lui supposait, Marguerite s’explique, à ce sujet avec une abondance et une vivacité de protestations, très sincères assurément, puisqu’en définitive elle ne se consola jamais de la mort de son frère, mais qui me paraissent cependant dictées surtout par la crainte d’avoir offusqué sa susceptibilité ombrageuse.


« Monseigneur, je vous supplie très humblement ne me plus laisser soutenir ce purgatoire, et me faites cet honneur de penser que si j’ai autrefois dit que je pensais demeurer la dernière, c’était pensant avoir la perfection de tous les malheurs et ennuis que Dieu peut envoyer à sa créature ; et si mon désir se fût accordé à ma peur, j’eusse mis peine de garder ma vie et santé plus soigneusement. Je suis sûre, monseigneur, que vous le sentez ainsi comme moi ; mais la parole que vous me dites au partir ; que peut-être Dieu voyait ma vie passer celle de vous et de Madame (Louise de Savoie) m’a été si pesante dans le cœur, « que sans vous avoir écrit cette lettres espérant votre réponse dont j’ai besoin, je suis sûre que ma vie n’eût soutenu longuement cette peine, car je n’ai fin, regard ni intention que de vivre et mourir.

« Votre très humble et très obéissante sujette et sœur. »