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Toutefois, si les femmes du moyen âge ne restaient point étrangères au mouvement plus ou moins déréglé et grossier des imaginations à cette époque, elles n’y intervenaient pas directement, et le contre poids qu’elles lui opposaient tenait en grande partie à leur séparation d’avec les hommes. L’enthousiasme respectueux que tant d’auteurs du moyen âge expriment pour les femmes, tandis que d’autres les rabaissent volontiers, s’explique par l’effet même d’un régime social où celles-ci vivent dans un état de séquestration relative, et ne se mêlent aux réunions des hommes que dans des circonstances assez rares et plus du moins solennelles.

Ces rapports changent sous François Ier ; la vie de cour commencé, une fréquentation habituelle s’établit entre les hommes et les femmes d’un haut rang ; L’esprit de société et de conversation apparaît sous sa première forme. Dans ce premier contact, les instincts de délicatesse et de réserve, qui sont l’attribut naturel de la femme, commencent par subir, non sans résistance toutefois, l’influence des goûts plus grossiers de l’autre sexe, et c’est précisément ce premier combat entre deux tendances contraires qui se trouve peint au vif dans les controverses qui suivent d’ordinaire chacun des récits de l’Heptaméron. Alors même que l’esprit féminin, avec ses délicatesses, triomphe sur le fond des questions, il cède plus ou moins dans la forme aux impulsions licencieuses du sexe fort. Ce n’est que dans le siècle suivant que, plus aguerri, l’esprit féminin prendra sa revanche, et, avant que l’équilibre s’établisse, s’imposera à son tour jusqu’à l’excès. Les raffinemens de fade subtilité introduits dans la littérature par l’hôtel de Rambouillet seront la contre-partie des licences que l’effronterie du XVIe siècle, si énergiquement représentée par Rabelais, a fait pénétrer jusque dans les conversations de l’Heptaméron.

Considérés exclusivement sous le rapport littéraire, les contes de la reine de Navarre ne sont pas ce qu’on peut appeler un chef-d’œuvre ; ils n’offrent ni la puissance ni le charme du coloris que Boccace a répandus dans les descriptions du Décaméron. Le style de Marguerite n’a pas non plus l’originalité de celui.de Rabelais ou de celui de Montaigne ; ce dernier pourtant appréciait la valeur de l’Heptaméron, qu’il nomme un gentil livre pour son étoffe. Certains récits pourraient être présentés avec plus d’habileté dans la mise en scène et dans les péripéties. La prolixité, qui d’ailleurs est le défaut des meilleurs ouvrages français du XVIe siècle, se fait sentir fortement dans quelques parties de ce recueil ; mais les défauts de l’Héptaméron sont compensés par des qualités charmantes, dont quelques-unes sont rares au XVIe siècle. C’est ainsi que le style de Marguerite dans ses contes n’offre ni étalage pédantesque d’érudition, ni tours de force de subtilité dans les argumens ou les rapprochemens,