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fers de l’esclavage. Croire que l’homme caucasique suffit à répandre la richesse et la fécondité sur le globe, c’est une erreur dont on revient bien vite en parcourant l’exposition universelle.

Au sortir du monde noir, nos regards devraient naturellement se porter sur la race qui lui succède dans l’ordre physiologique, — sur les peaux-rouges ; mais cette race, où la retrouver ? Il faut aujourd’hui fouiller les ruines et les tombeaux pour découvrir quelques vestiges de son ancienne splendeur. Dans le département, par exemple, qui a été assigné au Pérou, vous pouvez voir de la vaisselle d’argent retrouvée au milieu des ruines d’une ancienne cité indienne (Grand-Chimu), un marteau du même métal, des cachets, des médailles, une figure en bois tirée du temple du Soleil à Pachacamac, et des couvertures de coton remontant à une grande antiquité. La race rouge s’est-elle aussi complètement évanouie qu’on veut bien le dire de la face du continent américain ? Je ne le crois pas ; d’abord on la rencontre encore à l’état pur dans quelques possessions anglaises situées tout au nord du Nouveau-Monde. À l’endroit de l’exposition où New-Brunswick et les îles Vancouver développent leurs étoffes de poil de chien et leurs richesses minérales, les indigènes ne sont représentés que par des masques moulés sur nature, des marteaux de pierre, des costumes et des canots, dont l’un a été construit avec une seule main par un Indien estropié nommé Peter Snake (Serpent). Ces faibles tribus, dispersées tout à l’extrémité de l’Amérique, ne nous donnent pas, j’en conviens, une grande idée de l’industrie de leur race ; mais il faut se souvenir que la civilisation rouge, s’il est permis de lui donner ce nom, ne s’était établie avant la conquête que vers le centre du Nouveau-Monde. Là, les naturels avaient bâti des villes, des palais, des temples qui étonnèrent les conquérans, et dont les ruines se retrouvent aujourd’hui couvertes par des forêts. Cette race, fière, belliqueuse et intelligente, avait très certainement frayé la voie aux conquêtes industrielles que les Européens développèrent sur leur propre sol. Ces animaux domestiques, dont les états du sud de l’Amérique tirent aujourd’hui de si grands profits, le lama, l’alpaca, la vigogne, ne sont-ce pas eux qui les ont élevés et cultivés durant des générations ? Ce n’est pas tout : cette même race, qui a presque disparu dans le nord au souffle et au contact de la civilisation anglo-saxonne, s’est mêlée dans une forte proportion aux Espagnols et aux Portugais du sud de l’Amérique. Il y a du sang indien dans le travail de ces états qui figurent avec honneur à l’exposition de 1862, Costa-Rica, le Pérou, l’Uruguay, Venezuela. L’orgueil des Incas associé à la pompe castillane éclate dans ces dentelles, ces échantillons de bijouterie péruvienne, ces ouvrages de filigrane, surtout ces selles de Montevideo si délicatement