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y avait cent lieues à franchir, vingt-cinq étapes à faire, des déserts sans eau et sans ressources à traverser, des chaînes de montagnes à forcer, des positions fortifiées à enlever. Or, pour exécuter cette marche et ces opérations, l’expédition n’avait ni artillerie suffisante, ni moyens de transport, ni objets de campement. Dans l’armée espagnole, débarquée depuis deux mois, un seul bataillon avait des tentes. Les chefs alliés ne pouvaient qu’à grand’peine former un convoi. On avait pris d’abord quelques campemens à une petite distance de la Vera-Cruz, à la Tejeria, à Medellin. On ne pouvait cependant attendre dans ces positions l’invasion des maladies, et d’ailleurs une inaction prolongée devenait un signe trop visible d’impuissance. Ce fut l’amiral Jurien de La Gravière qui proposa de sortir de cette situation pour aller chercher des positions plus salubres. Il indiquait Jalapa, qui est une des villes principales sur l’ancienne route de Mexico, et il proposait de demander au gouvernement mexicain de ne point s’opposer à cette marche. Le général Prim s’écriait alors : « On a vu quelquefois un gouvernement consentir à laisser occuper par des troupes étrangères soit un des ports de son littoral, soit un des points de ses frontières ; mais il est sans exemple qu’un gouvernement ait cédé dans le cœur du pays une position qui ouvre à l’ennemi la route de la capitale. Si vous demandez au gouvernement mexicain à occuper Jalapa et s’il répond par un refus, vous devez être résolus à marcher en avant. Eh bien ! je dois le déclarer ici, nous n’avons pas les moyens de conduire à bonne fin une pareille entreprise. En sortant de la Vera-Cruz, j’aurai tout au plus cinq mille hommes disponibles, le commandant français en aura deux mille cinq cents à peine, le commodore anglais cinq cents. C’est donc avec moins de huit mille hommes que vous voulez vous engager dans le pays… Nous serons assez forts sans doute pour sortir vainqueurs d’un premier combat, nous ne le serons pas assez pour résister longtemps avec succès à toutes les attaques de guerrillas qui viendront harceler nos flancs et intercepter nos convois… Un soldat est toujours heureux quand il meurt pour son pays ; mais l’effet moral d’un insuccès, l’humiliation de nos trois pavillons, les comptez-vous pour rien, et n’est-ce pas là une considération qui mérite sérieusement qu’on s’y arrête ? — Sans aucun doute, ajoutait sir Charles Wike, elle le mérite. » Il y avait assurément du vrai dans ce que le général Prim disait avec feu, et il n’y avait cependant pas moins de vrai dans ce que disait l’amiral : « Nous ne sommes plus maîtres de la situation. Pouvons-nous attendre que dans l’enceinte de la Vera-Cruz un climat meurtrier vienne décimer nos troupes et nous obliger à les rembarquer ? Si une pareille décision pouvait sortir du sein de cette conférence, j’expédierais